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ALIOU BARRY : “Une des causes de l’échec du panafricanisme tient à la balkanisation du continent”

L’Organisation de l’unité africaine (OUA), créée le 25 mai 1963 à Addis-Abeba (Ethiopie), rebaptisée l’Union africaine (UA) depuis 2002, célèbre ce mardi son 58e anniversaire. A cette occasion, Ledjely.com a recueilli l’avis d’Aliou Barry, chercheur en Géopolitique, spécialiste des questions de Démocratie et de Sécurité en Afrique et directeur du Centre d’analyse et d’études stratégiques (CAES). Au cours de cette interview, l’activiste des droits humains a rappelé que dans l’Agenda 2063 de l’Union africaine, visant à transformer le continent africain en puissance mondiale, les dirigeants africains doivent se focaliser sur trois objectifs, à savoir : le renforcement des coopérations intra-africaines, l’achèvement des intégrations régionales et l’industrialisation. Dans cette longue interview qu’il a accordée au Djely, le chercheur a également souligné la problématique liée à la fermeture des frontières entre certains pays africains pour des raisons pas souvent évidentes. C’est le cas de celles de la Guinée avec ses voisins du Sénégal et de la Guinée-Bissau. Interview…

Ledjely.com : Dans son Agenda 2063, l’Union africaine se fixe comme objectifs entre autres l’intégration réussie pour l’ensemble des pays du continent. Autrement dit, permettre aux citoyens africains et à leurs biens de circuler librement partout dans le continent. Cependant, pour de raisons pas souvent évidentes, des frontières sont fermées entre certains pays. C’est le cas notamment entre la Guinée et ses voisins du Sénégal et de la Guinée-Bissau. Comment expliquez-vous cela ?

Aliou Barry : L’Agenda 2063 est le schéma et le plan directeur de l’Afrique visant à transformer le continent en puissance mondiale de l’avenir. C’est le cadre stratégique du continent africain qui vise à atteindre son objectif de développement inclusif et durable. Pour y parvenir, l’Agenda 2063 se fixe trois objectifs : le renforcement des coopérations intra-africaines, l’achèvement des intégrations régionales et l’industrialisation. L’ambition est de faire de l’Afrique le plus vaste des « marchés communs ».

Malheureusement, en Afrique, les frontières entre les États, pourtant héritées de la colonisation, ne sont pas remises en cause. Et la frontière reste un élément d’identification à un État-nation.  L’État-nation est en Afrique une création récente. Comment reprocher aux Chefs d’État de vouloir préserver la souveraineté de leur pays, consolider l’identité nationale et garantir des droits à leurs concitoyens ? Le futur de l’État-nation dépend d’abord de l’affirmation de ses frontières et d’un légitime égoïsme territorial. Dans un monde globalisé, la frontière a toujours de la pertinence. On assiste même, aujourd’hui, à un retour des égoïsmes régionaux, avec, à l’intérieur d’une nation, la quête d’indépendance d’une partie du territoire national. Si les frontières et les égoïsmes territoriaux n’excluent pas la solidarité et la coopération, comme partout dans le monde, cette solidarité des États et le désir de coopération sont, en Afrique, constamment menacés par la montée d’un égoïsme territorial et identitaire, souvent instrumentalisé en période électorale ou de crise comme on le voit aujourd’hui en Guinée avec la fermeture des frontières avec des pays voisins. C’est justement contre cet égoïsme des territoires que veut lutter l’Agenda 2063, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives géopolitiques, géoéconomiques et géostratégiques dans une Afrique nouvelle. 

Il faut savoir que le renforcement de l’unité africaine est un objectif recherché depuis longtemps, sans jamais avoir été atteint. Alors que l’on comprend mieux aujourd’hui la nécessité de l’intégration régionale et les raisons des échecs passés, de nouveaux efforts visent à resserrer les liens économiques et politiques entre les nombreux pays du continent. 

L’instabilité des régimes politiques internes des États africains à n’en pas douter constitue un blocage à l’intégration, car tout changement intervenu dans un État entraine une nouvelle vision souvent contraire à celle du régime précédent. Même si les hommes passent et que les institutions restent, mais, la conduite des affaires de l’État dépend de celui qui est à la tête du pays.

Depuis cinquante ans, le processus d’intégration s’est caractérisé par un double mouvement : le rêve panafricain porté par les plus grandes figures des luttes de libération nationale et incarné par la création de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) en 1963, et la reconnaissance d’un principe de réalité voulant que l’on se préoccupe de la coopération au sein des différentes régions du continent. Mais les multiples expériences d’institutionnalisation ont souvent connu des blocages. Et une des causes de l’échec du panafricanisme tient à la balkanisation du continent, à son cloisonnement, en une multitude d’espaces économiques et de petits marchés non viables. Or, la question des frontières reste une problématique sérieuse qui freine les politiques d’intégration. Aujourd’hui, le processus d’intégration en Afrique se heurte à plusieurs obstacles. Le plus grand de ces obstacles est le désir de chaque État de se stabiliser dans le cadre des frontières héritées de la colonisation, notamment par l’affirmation du principe sacro-saint de l’intangibilité des frontières consacrées par la charte de l’OUA. C’est le danger d’un certain repli sur soi-même alors que ce nationalisme étroit n’a plus de place dans un monde devenu de plus en plus interdépendant. L’intégration implique la remise en cause du sentiment local pour le global et suppose des communautés sociales unies librement à un projet commun. Or, la plupart des États n’acceptent pas une telle remise en cause ou l’aliénation d’une part de leur souveraineté au profit de la construction communautaire. La fermeture des frontières décidées par l’actuel gouvernement guinéen en est une illustration parfaite.

Que doit faire l’Union africaine pour surmonter les divergences ou réticences entre certains de ses membres ?

Impossible de porter un regard sur l’état actuel de l’Union africaine sans un minimum de conscience historique. L’impact du colonialisme affecte encore de nos jours l’intégration africaine. La colonisation a en effet lié l’Afrique aux puissances coloniales européennes et bloqué toute intégration entre régions africaines. Le dernier sommet France-Afrique sur le financement des économies africaines en est une parfaite illustration de ce lien entre l’ancienne puissance colonisatrice et de nombreux États africains.

Malgré les nombreux efforts entrepris pour faire avancer l’intégration africaine au cours de la dernière décennie, un certain nombre de difficultés majeures doit encore être surmonté. La question se pose régulièrement de savoir s’il y a ou non une réelle appropriation par la plupart des Africains du nouveau processus d’intégration de l’UA. Il est clair qu’il existe des divergences intra-africaines quant à l’approfondissement du processus africain d’intégration. Plutôt que de l’unir, les efforts actuels vers l’intégration africaine ont divisé le continent entre ceux qu’on appelle les « maximalistes » et les « minimalistes ». Aussi, il n’y a pas actuellement de leadership crédible guidant l’intégration de l’Afrique. Aujourd’hui, l’Afrique se trouve face à une pénurie de moteurs pouvant emmener l’intégration régionale, c’est-à-dire de personnes disposant à la fois d’un leadership visionnaire et du nécessaire pragmatisme pour faire avancer les choses, gérer les réformes et obtenir des résultats. Pour des raisons diverses, le Nigeria et l’Afrique du Sud n’ont pas joué ce rôle de manière suffisante et constante ces dernières années, même s’ils ont été parmi les initiateurs de projets continentaux majeurs tels que le Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD) et le Mécanisme africain d’évaluation par les pairs (MAEP). Jusqu’ici, les pas en avant de l’intégration africaine ont toujours été davantage le fait de quelques personnes individuelles prenant l’initiative pour faire avancer l’intégration et la faire passer à la prochaine étape, qu’un processus durable à long terme.

Par ailleurs, les rivalités inter africaines sont dues à une absence de clarté quant aux mandats et aux rôles respectifs. Aucun réel débat n’a été entamé sur la question de savoir qui (les Communautés économiques régionales ou les États membres) est mieux placé pour faire quoi dans ce processus africain d’intégration, sur la base du principe de subsidiarité. Si une vision commune a bien été formulée quant à la destination finale de l’intégration africaine (la création envisagée des États-Unis d’Afrique), d’importantes divergences d’opinions persistent quant à la voie à suivre pour y parvenir et le rythme auquel l’unité doit progresser. Un certain nombre d’États africains ne sont clairement pas partisans d’un transfert de mandats, de compétences et de pouvoirs à un organe supranational panafricain. D’autres au contraire souhaitent avancer plus vite dans cette voie. La relation entre l’Union africaine et les Communautés économiques régionales (CER) a été beaucoup trop longtemps une relation de concurrence plutôt que de coopération. Des questions cruciales, telles que l’ordre et le rythme selon lesquels le continent africain devrait avancer vers l’intégration dans divers domaines, restent encore sans réponse.

Le manque de stabilité politique dans les États (tentatives de coup d’États, guerre interethnique…), l’absence d’une monnaie forte, le non-respect et les problèmes d’application des accords régionaux sociaux, les problèmes de circulations des personnes et des biens et les différentes frontières entre les États sont entre autres de sérieux freins à l’intégration africaine.

Quel regard porterez-vous globalement sur l’intégration socio-économique en Afrique ?

L’analyse critique de l’état de l’intégration économique sur le continent indique qu’elle ne semble pas avoir produit les résultats escomptés. Parmi les multiples obstacles, je me focaliserai sur quatre principaux facteurs : 

  • Les appartenances multiples de plusieurs États africains à des différentes Communautés économiques régionales (CER) et aux différents partenaires bilatéraux spéciaux en dehors de l’Afrique et l’impact de cette situation sur la véritable intégration sur le continent ;
  • Les questions de paix et de sécurité ;
  • La gouvernance ;
  • Les questions de financement.

Il y a deux conceptions idéologiques de l’intégration africaine, une prônant la consolidation d’unité politique, et l’autre une coopération entre États souverains. En Afrique, la capacité économique des différents pays, pris individuellement, est très faible et loin d’être compétitive sur le marché mondial. Comparés aux États membres de l’Union européenne (UE), de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) ou encore de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), les États africains sont très pauvres !

Comme toute organisation supranationale, fondée sur une logique de compromis, l’Union africaine doit gérer, d’un côté, la nécessité des coopérations et de l’intégration régionale et continentale, et, de l’autre, le désir de souveraineté et l’égoïsme des États.

Jeunes et en voie de consolidation, les États-nations africains défendent âprement leur souveraineté. Il est donc plus logique de travailler, d’abord, à la consolidation des processus de coopération à travers les CER comme la CEDEAO et à l’établissement de passerelles entre les CER comme le font, avec la Tripartite, 26 pays à l’Est et au Sud de l’Afrique, afin de constituer une zone élargie de libre-échange qui regroupe les membres de la SADC, de l’EAC et du COMESO.

Propos recueillis par Ibrahima Kindi Barry

 

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