Qui l’eut cru ? Il y a quelques mois, qui se serait risqué à imaginer l’évènement que l’on vit ce mercredi au siège de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG). A savoir cette rencontre au cours de laquelle le parti de Cellou Dalein Diallo et celui d’Alpha Condé travailleront à planifier une démarche commune qu’ils pourraient entreprendre dans le cadre de la Transition en cours. L’inimité entre les deux formations d’une part, et entre les deux leaders, de l’autre, était telle que même un joueur de cauris n’aurait pu prédire ce retournement de situation. Mais la pratique politique défiant la logique dans notre pays, cette réconciliation nous est aujourd’hui servie. Il importe cependant de chercher à savoir ce qui la commande. Est-ce le désespoir dans lequel les uns et les autres, ignorés et poussés à bout par le CNRD, se retrouvent finalement ? Ou bien une stratégie politique suffisamment murie en vue de freiner l’approche solitaire et quelque peu arrogante des nouvelles autorités ?
La sorcellerie
Bien sûr, récemment, en réaction à l’incarcération de l’ancien premier ministre, Ibrahima Kassory Fofana, et nombre de ses anciens collaborateurs, Alhousseine Makanera Kaké avait envisagé l’éventualité du rapprochement entre l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) et le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG). Mais en réalité, personne n’y avait accordé la moindre attention. La perspective paraissait surréaliste à un tel point que certains avaient préféré en rire. D’autant que dans l’enregistrement sonore de l’ancien président qui a récemment fuité, Alpha Condé n’avait pas manqué de remettre au goût du jour son adversité avec Cellou Dalein Diallo. Dans ces conditions, comment expliquer que moins de deux mois après, son parti décide de se joindre à celui de ce même Cellou pour mener la bataille contre les nouvelles autorités ? Certains diront que la sorcellerie de nos politiques est passée par là.
Nécessité de survie oblige
Mais en réalité, cela obéit à une stratégie de survie de la part des uns et des autres. Vu que le CNRD ne fait pas mystère de sa volonté de gommer une certaine catégorie d’acteurs de l’espace politique du pays, la bataille n’est plus une option pour les responsables des principaux partis politiques du pays. C’est tout simplement la seule option. Or, dans cette bataille en perspective, ils se savent complémentaires. Du côté de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), si la capacité de mobilisation demeure intacte, on a conscience que la lutte devra revêtir une dimension nationale si elle doit être couronnée de succès. En sorte que quand il y a mobilisation, il faudrait que cela aille au-delà de la zone de Ratoma, pour ce qui est de Conakry par exemple. A l’inverse, le RPG sait qu’il a perdu le pouvoir et que son leader charismatique n’est plus maître de son destin. Le parti épouse par conséquent tout à la fois l’humilité et le réalisme d’envisager qu’un appel à manifestation qu’il émettrait aujourd’hui ne mobiliserait pas grand-monde. Du mois, pas comme cela l’a été il y a quelques années. Autant se rapprocher donc de celui qui dispose encore de cette force de frappe. Quitte à apporter au passage les ressources permettant de susciter la mobilisation.
Désespoir et reniement
Mais il est vrai que dans cette démarche, on peut déceler du désespoir et même une forme de reniement de part et d’autre. Certes, on devine tous que ce rabibochage est provisoire. Mais que des responsables du RPG, à l’issue d’une réunion formelle, en viennent à décider de se rendre au siège de l’UFDG pour discuter d’une stratégie commune, cela traduit l’impasse dans laquelle le parti se retrouve si subitement. Avec Kassory Fofana et beaucoup d’autres responsables en prison, Alpha Condé lui-même en résidence étroitement surveillée et affaibli et d’autres responsables menacés de poursuites pour des faits se rapportant aux crimes de sang, le parti n’a plus trop le choix. Quitte à pactiser avec celui qui était jadis perçu comme le diable en personne. Surtout qu’en proie à un sentiment de dépit et désemparés, les militants ne semblent pas disposer à se battre pour réhabiliter des leaders qui les ont quelque peu déçus.
Pour sa part, l’UFDG aura consenti des efforts pour éviter le clash avec les nouveaux maîtres du pays. Mais les poursuites envisagées contre Cellou Dalein Diallo sur le dossier Air Guinée, l’extrême diligence avec laquelle ce dernier a été délogé de son domicile de Dixinn et la démolition dudit domicile, alors que le dossier était à la justice, auront laissé croire que l’ancien PM est particulièrement dans le viseur du CNRD. Surtout qu’avec la dernière sortie du procureur Charles Wright, il y a des raisons de penser que des responsables de ce parti également ne seront pas épargnés par les poursuites pour des faits de crimes de sang. Or, à tout cela, s’ajoutent des contentieux strictement politiques autour des Assises nationales, du dialogue politique et de la durée de la Transition. Dans un tel contexte, la bataille en perspective s’apparente à une résistance. Or, le parti ne voudrait pas seul incarner l’adversité au CNRD. D’où cette concession visant à cheminer avec ceux que l’on accuse d’être à la base de la disparition des martyrs du cimetière de Bambeto.
Mais la vraie question est celle de savoir comment, au sein de l’opinion publique, tout cela sera accueilli ? Y verra-t-on un rapprochement nécessaire, du fait du contexte qui prévaut ? Ou bien, faut-il y voir tout simplement une autre preuve du fait que les politiciens ne sont guidés que par leurs intérêts et que seules les populations qui ont tendance à les suivre aveuglement, se laissent duper ?
Boubacar Sanso BARRY