Nous avons alerté sur les conséquences de la détention préventive prolongée voire abusive. Eh bien, nos craintes se sont révélées fondées. La faucheuse a emporté hier nuit l’ancien ministre Lounceny Camara, en détention à la maison centrale depuis le 27 avril dernier. Sa mort est une tragédie absolue qui aurait pu (dû) être évitée.
Nous avons alerté sur la nécessité d’accorder une liberté conditionnelle aux anciens cadres de l’Etat, sous l’ancien régime, en attendant que la justice ne statue sur leur sort. Mais hélas !
La consécration du principe de la présomption d’innocence est le fondement du principe d’exception de la détention préventive prévue à l’article 235 CPP (code de procédure pénale guinéen). Le recours à la détention préventive doit être le dernier recours et se justifier par les strictes nécessités de l’enquête en cours.
L’article 235 du code de procédure pénale précité dispose : « la détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que s’il est démontré, au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure, de la gravité des faits reprochés à la personne inculpée et de la complexité des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité, qu’elle constitue l’unique moyen de parvenir à l’un ou plusieurs des objectifs ». ci-après :
- Conserver les preuves ou les indices matériels qui sont nécessaires à la manifestation de la vérité ;
- Empêcher une pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ;
- Empêcher une concertation frauduleuse entre la personne inculpée et ses coauteurs ou complices
- Protéger la personne inculpée ;
- Garantir le maintien de la personne inculpée à la disposition de la justice ;
- Mettre fin à l’infraction ou prévenir son renouvellement ;
- Mettre fin au trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public provoqué par la gravité de l’infraction, les circonstances de sa commission ou l’importance du préjudice qu’elle a causé. Ce trouble ne peut résulter du seul retentissement médiatique de l’affaire.
Au regard de cet article, il apparait clairement que les conditions d’une détention provisoire de ces personnes ne sont pas réunies, et ce pour plusieurs raisons.
Primo, ces personnes ont annoncé leur volonté de faire face à la justice de leur pays dans le but de laver leur honneur face à tout soupçon ou accusation de corruption. En matière judiciaire, la volonté des parties doit être prise en compte par le juge.
Secundo, ces personnes poursuivies ont des domiciles connus et reconnus. Il n’y a donc aucun obstacle au placement sous contrôle judiciaire.
Tertio, sans doute la raison la plus sérieuse. Les passeports et autres documents de voyage de ces personnes accusées ont été retirés, et leurs avoirs gelés par les autorités sans aucune décision de justice en la matière (autre entorse à la procédure les concernant mais passons dessus).
Il n’a pas été démontré non plus par l’accusation, que les anciens cadres poursuivis et qui ont déjà fait l’objet de placement sous contrôle judiciaire assorti d’un cautionnement, je pense à Zakaria Koulibaly, à Tibou Camara ou encore plus récemment à Damantang Camara, se sont soustraits aux conditions liées à leur contrôle judiciaire. Au regard de tous ces faits, il n’est plus pertinent de maintenir Kassory et Cie en détention provisoire surtout que le délai de placement en détention préventive est largement dépassé pour certains d’entre eux (4 mois selon l’article 236 du CPP).
En outre, ces personnes ont plusieurs fois bénéficié de liberté conditionnelle assortie au paiement d’une caution, à chaque fois le très “compétent” procureur de la CRIEF s’est opposé à leur libération.
Je profite de ce papier pour interpeller ici directement le Président de la transition, garant du fonctionnement normal des institutions, de procéder à la libération sous conditions des détenus ou de procéder rapidement à l’organisation d’un procès juste, équitable et contradictoire.
Force est aujourd’hui de constater que la détention de Kassory et Cie, peut-être qualifiée à la fois d’arbitraire et d’injustifiée. Arbitraire, en ce sens que leur arrestation et leur privation de liberté se sont effectuées dans le non-respect du droit guinéen, notamment le non-respect du délai maximum de la détention préventive tel que prescrit par la loi. Et injustifiée, en ce sens que plusieurs décisions de remise en liberté conditionnelle ont été prononcées, mais rendues inopérantes par les appels du procureur spécial. En outre, toutes les conditions de la détention provisoire les concernant ne sont pas réunies.
En toute rigueur de terme, il est important de rappeler aux magistrats et aux procureurs défaillants, que le respect des libertés fondamentales des justiciables est un principe fondamental de l’Etat de droit sans lequel aucune décision de justice ne saurait être légitime.
Alexandre Naïny BERETE, juriste