C’est sans doute trop tôt pour jubiler. L’histoire de la Guinée nous apprend qu’à défaut de scepticisme, il faut toujours avoir la prudence en bandoulière, attendre de voir pour croire. N’apprécier le maçon qu’au pied du mur. Mais avec l’ouverture, ce mercredi, du très symbolique procès du massacre du stade du 28 septembre, personne ne nous reprochera de nous autoriser un bout de rêve. Alors, rêvons, espérons et projetons-nous dans une Guinée du futur où, du fait des enseignements tirés de ce procès-là, on réfléchira à deux fois avant d’infliger des sévices à notre prochain, à notre compatriote. Une Guinée dans laquelle, la justice inspirant la confiance au citoyen, personne n’est plus obligé de se réfugier dans le communautarisme pour espérer la sécurité. C’est cet espoir d’une nation retrouvée et tournant le dos à tous les fléaux qui ont jusqu’ici inhibé son essor notamment économique que l’ouverture de ce procès, avec tous ces puissants d’hier dans le box des accusés, aura soulevé. Et personne n’a le droit de trahir une telle espérance.
Périodes sombres et repères ensanglantés
La Guinée a la particularité d’avoir une histoire jalonnée de contradictions notamment politiques dont l’issue a souvent connu des tournures dramatiques. Des périodes sombres et des repères ensanglantés dont chaque régime a eu son lot, de l’indépendance du pays à nos jours. Mais jusqu’ici, la justice à défaut de se ranger du côté des bourreaux, avait préféré regarder ailleurs. Une indifférence voire une complicité qui a certainement favorisé la répétition des tragédies et qui est à la base des ressentiments que les Guinéens gardent, enfouis en eux. Il est de même aisé de comprendre la méfiance et les suspicions que les populations nourrissent à l’endroit de la justice, aujourd’hui encore. Il s’en suit qu’elles sont quelque peu éblouies par ce qui s’est passé hier dans le sillage de l’ouverture du procès du massacre du 28 septembre. En particulier, on n’en revient pas de voir le capitaine Moussa Dadis Camara, Claude Pivi, Moussa Tiégboro Camara ou encore Aboubacar Sidiki Toumba Diakité, comparaitre devant les juges. Tous ces accusés, jadis puissants parmi les plus puissants du pays, aujourd’hui réduits à leur statut de simples citoyens, personne n’y aurait cru il y a à peine quelques semaines. Sous d’autres cieux, on parlerait de leçon de vie. Mais dans la Guinée croyante et un brin superstitieuse, on loue la grandeur divine.
Reddition des comptes
En tous les cas, les Guinéens dans leur ensemble s’accordent à reconnaître que l’audience de notification des charges de ce mercredi avait une forte charge symbolique. Tous ceux qui l’ont suivie via les télévisions de la place en ont été marqués. Sans préjuger des verdicts qui vont être prononcés au bout du périple judiciaire, faisait remarquer un observateur, « on peut imaginer que pour les victimes, le fait même de voir tous ces anciens dignitaires, dépossédés de leur puissance et obéissant mécaniquement aux consignes des juges, a quelque chose d’apaisant ». Au-delà donc de l’établissement de la réalité des atrocités qu’on a fait subir aux victimes, tout le monde devrait tirer profit de ce procès. En particulier, on devrait en retenir que nous sommes appelés à subir les conséquences de nos actes. Qui que l’on soit et quel que soit que le rang que l’on occupe au sein de la société. Une leçon qui conduirait à cultiver à la fois l’humilité et la tempérance dans les actes que nous sommes amenés à poser.
La Guinée au scanner
Il n’y a donc pas que la dizaine d’accusés qui sont en procès. C’est la société guinéenne qui sera passée au scanner de ce jugement. Il ne reste plus alors qu’à prier pour que toutes les parties travaillent à ce que le diagnostic qui en sortira soit le plus fidèle possible, afin que l’ordonnance qui en découlera soit en mesure de soigner le mal dont la nation Guinée a jusqu’ici souffert.
Boubacar Sanso Barry