Le Tchad et les Tchadiens seraient-ils donc condamnés à subir la dictature ? Comment expliquer en effet qu’à peine sorti de la tyrannie de Deby père, le pays tombe dans un régime tout aussi répressif que celui qui s’est cruellement manifesté ce jeudi 20 octobre ? Une cinquantaine de morts, des centaines de blessés ! Juste pour une manifestation qui était censée être ordinaire. Une protestation d’autant plus légitime que Mahamat Idriss Deby, par le biais du Dialogue national inclusif et souverain (DNIS), s’est soustrait à ses engagements initiaux de s’en aller au bout de 18 mois. Désormais, marchant sur les traces de feu son père, il veut s’accrocher au pouvoir. Quand, après le père qui a régné une trentaine d’années durant, le fils prétend à la succession, il y a de quoi contester. Parce qu’à priori, le Tchad n’est pas une monarchie où le sceptre du pouvoir se transmet par le lien du sang. Mahamat Idriss Deby et ses soutiens portent donc une part de responsabilité non négligeable dans le drame auquel cette manifestation a donné lieu. Mais il n’y a pas qu’eux. La communauté internationale est aussi fautive. La France, en premier lieu.
Journée sinistre
Cette sinistre journée du 20 octobre est fruit de l’attitude de condescendance que le pouvoir tchadien a témoignée à l’endroit de ses opposants. Si au début de la Transition, Mahamat Idriss Deby semblait disposer à accorder un semblant de considération à ceux qui ne percevaient pas les choses de la même que lui, ces derniers mois, on a senti de sa part et de la part de son entourage, une attitude tendant à prendre les autres de haut. Gagnés par une certaine assurance voire par l’arrogance, les dirigeants tchadiens ont donc refusé d’écouter ceux qui avaient des griefs à propos du dialogue national inclusif. On a botté en touche leurs revendications. On les a banalisés, on en a fait des moins que rien. Faisant comme s’il n’entendait pas les critiques de Succès Masra ou qu’il n’était pas conscient des désaccords exprimés par la coalition Wakit Tamma, Mahamat Idriss Deby, installé dans sa bulle, s’est empressé d’endosser les conclusions du fameux dialogue. L’essentiel pour lui étant la rallonge de deux ans qu’il en récolte et la possibilité de briguer la présidentielle qui lui est également concédée, il s’est empressé de se faire investir. La cooptation de Saleh Kebzabo lui suffirait comme caution, pensait-il. La condamnation de la prolongation de la Transition par l’Union africaine, est demeurée, elle aussi, inaudible. Et bien sûr, la boulimie du pouvoir et le désir de défendre celui-ci ont fait le reste.
L’exception, une expression-valise pour justifier l’incohérence
Mais si le Tchad est à l’aube d’une nouvelle dictature, c’est aussi de la responsabilité de la communauté internationale. Et là, il est essentiellement question de la France. Le Tchad, c’est en effet le péché mignon d’Emmanuel Macron. Que la France se fende d’un communiqué pour se démarquer de l’horrible répression de ce jeudi, cela n’a aucun sens. Bien sûr, personne ne dit que des soldats français ont tiré sur les manifestants. Mais si on en est là, c’est parce que la France a couvé Déby fils comme la poule et ses poussins. Cela est d’autant plus évident que les autorités françaises ont agi aux yeux de tout le monde. En véritable filleul de Macron, Mahamat Idriss Deby a eu droit à toutes les protections. Aucune condamnation, pas la moindre réprobation. Parallèlement, les mises en garde des opposants ne trouvaient aucun écho à Paris ou à Bruxelles. Le sentiment d’assurance qui a conduit à banaliser les opposants pourrait même résulter de cette conscience qu’étant le chouchou de la France, on ne risque rien et qu’en conséquence, la moindre concession relève du superflu. Oui, dans d’autres contextes, la France sert davantage de prétexte et d’exutoire. Mais cela ne s’applique guère au Tchad. Le pays des Deby est une exception que la France assume. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard, si à la suite de sa nomination récente, le premier ministre Saleh Kebzabo, interrogé sur les risques de condamnation qu’encourait le Tchad pour avoir prolongé la Transition, a répondu que son pays est une exception. L’exception, une expression-valise à laquelle personne ne comprend grand-chose, mais qui sert de justification à l’incohérence dont la France se rend coupable dans sa politique africaine.
Boubacar Sanso Barry