Si l’âge est souvent associé à la sagesse, il faut croire que le président tunisien échappe à cette règle. En tout cas, des actes que le président Kaïs Saïed pose ou des propos qu’il tient, il ne se dégage aucune sagesse. Au contraire, il en ressort d’inquiétantes tendances à la dictature et à l’autocratie. Pire, avec les derniers propos qu’il a tenus à l’endroit des migrants de l’Afrique subsaharienne, il révèle même son côté pas que xénophobe, mais foncièrement raciste aussi. Mais on imagine qu’à l’image de tous les pseudo-leaders, incapables d’honorer leurs engagements vis-à-vis de leurs compatriotes et face à la crise économique que le pays vit et aux nombreuses pénuries auxquelles les Tunisiens font face, le président tunisien se sert des migrants subsahariens comme des boucs-émissaires. Pas suffisamment courageux pour assumer son échec et ne mesurant pas tous les dangers auxquels il expose ceux qu’il jette ainsi en pâture, il emprunte le chemin réducteur et simpliste de l’instrumentalisation de la migration. De la part d’un chef de l’Etat dont le pays est quand même membre de l’Union africaine, ce n’est pas très responsable.
Un président en proie à la crise et aux pénuries
Comment peut-on chasser Ben Ali à la faveur de la révolution de Jasmin et hériter, une dizaine d’années plus tard, d’un Kaïs Saïed ? C’est la question que tous les Tunisiens doivent se poser. Parce que celui qui leur sert de président aujourd’hui est l’incarnation en soi de la dérive autoritaire. Depuis qu’en juillet 2021, il a décidé du gel du parlement et du renvoi du premier ministre, le président est de fait seul maître à bord du navire Tunisie. Cette concentration de tous les leviers du pouvoir entre ses seules mains, s’est progressivement accompagnée d’une campagne d’extinction de la presse indépendante. Malheureusement pour lui, sur les fronts social et économique, la situation se dégradait parallèlement. Plongée dans une grave crise économique, la Tunisie fait notamment face à une pénurie des denrées les plus basiques. Sur fond d’inflation et de crise financière, les Tunisiens peinent à se procurer du lait, du sacre blanc, du café, du riz, du beurre, des boissons gazeuses et même de l’eau minérale. Conséquence, des quatre coins du pays, les critiques fusent, ça gronde. Le président est acculé, pris à son propre piège.
Un tissu de mensonges
Et c’est ce contexte qui explique ces tristes propos que Kaïs Saïed a tenus ce mardi 21 février à l’encontre des migrants subsahariens. C’est une rengaine classique de la part des dirigeants en panne d’idées. Mi-racistes, mi-nationalistes, ils sont toujours prompts à sortir le fameux risque de « l’invasion » ou du « grand remplacement ». Et très souvent, leur discours se ramène à un tissu de mensonges que les opinions publiques, chauffées à blanc ou cédant à une certaine émotion, n’ont pas le temps de déceler. Dans le cas de la Tunisie par exemple, il importe de noter que l’essentiel des migrants subsahariens cibles de la charge virulente du président n’ont pas vocation à s’établir dans le pays. Ils n’y sont très souvent qu’en transit, l’objectif ultime étant l’eldorado européen. Par ailleurs, selon les statistiques fournies par les autorités italiennes, des quelques 32 000 migrants clandestins arrivés dans le pays en 2022, en provenance de la Tunisie, 18 000 étaient de ce pays.
Psychodrame poussé à l’extrême
Il serait donc temps que le président Kaïs Saïed se ressaisisse. Qu’il reprenne ses esprits et prenne conscience du danger qu’il propage à travers ses propos qui ne sont pas dignes de son statut de chef d’Etat. Quand ses propres compatriotes fuient le pays pour aller envahir l’Europe, on n’a pas soi-même à assimiler tous les migrants subsahariens à des criminels. Surtout, quelle bassesse que d’agiter ce spectre volontairement grossi du « Grand remplacement ». Aller jusqu’à accuser les migrants de servir une cause dont l’objectif serait de transformer la Tunisie en un « pays uniquement africain », en gommant sa dimension « arabo-musulmane », c’est quand même pousser le psychodrame à l’extrême. En réalité, ces pauvres migrants n’ont aucun autre lien avec la Tunisie. Ils y arrivent, contraints et forcés par la misère et l’absence de perspective dans leurs pays respectifs. Ce sont de pauvres hères en quête d’une herbe plus verte. Ils ne sont mus que par l’instinct de survie et n’ont aucune vocation à alimenter une quelconque cause politique. Alors, n’exagérons rien. Ceci étant, il serait bien que ces propos en viennent à fouetter l’orgueil et l’amour-propre de nos dirigeants, plutôt inconscients. En cela, ils auraient au moins servi à quelque chose d’utile.
Boubacar Sanso Barry