Avec son annonce de lundi soir de ne pas briguer le troisième mandat, Macky Sall a certes participé à la consécration de l’exemplarité de la démocratie sénégalaise en Afrique. Et c’est tout à son honneur. Mais par rapport à l’objectif qu’il s’est lui-même fixé, il doit être seulement à mi-chemin. Parce qu’en dépit de toute l’assurance dont il a fait montre au cours de sa dernière adresse à la Nation, il doit être hanté par sa succession. Comme tout dirigeant de ce continent et en raison des précédents angolais et mauritanien notamment, il doit vouloir un successeur qui ne voudra pas lui faire vivre des misères, quand il ne sera plus aux affaires. Idéalement, ce successeur devrait donc venir de sa coalition politique. Mais au Sénégal où le traficotage des votes n’est jamais chose aisée, il n’est jamais sûr de faire passer son poulain potentiel. Or, s’il venait à conclure un deal avec des opposants extérieurs à son camp, Macky Sall doit savoir qu’il a fait vivre à certains de ces opposants là des choses qui ne s’oublient pas facilement. Par ailleurs, il y a toujours le cas Sonko qui, à lui seul, est une équation à part entière.
Quiétude brève
Le président sénégalais doit lui-même ressentir un certain soulagement après son annonce de ne pas se porter candidat pour l’élection présidentielle du 25 février 2024. On imagine en effet tout le poids qu’il a dû supporter depuis qu’il entretient le flou à propos du troisième mandat. Pourtant, son moment de quiétude risque d’être de courte durée. Très vite, il lui faut se pencher sur la question tout aussi cruciale de sa succession. Car ce n’est pas parce que le Sénégal a d’autres hommes et femmes pour lui succéder qu’il souhaitera que n’importe quel d’entre eux s’installe à sa place, dans l’enceinte du palais de la république. Conscient des lacunes qui ont émaillé ses 12 ans de gouvernance, il doit prier pour que celui ou celle qui lui succèdera soit une sorte de poulain qu’il saura contrôler ou dont il canalisera les velléités à son encontre.
Pour cela, l’idéal serait que ce dauphin vienne à minima de la coalition Benno Bokk Yakaar ou plus encore de son parti, l’APR. Mais avec son bilan et la contestation qui aura particulièrement jalonné tout son second mandat, il ne peut jamais être certain de faire élire un des siens. Parce qu’à la différence d’autres pays du continent, même un président sortant ne peut pas compter sur la fraude électorale au Sénégal. Par ailleurs, si son choix venait à se porter sur certains de ses collaborateurs comme son actuel PM, Amadou Bâ, cela pourrait être perçu comme le prolongement d’un certain népotisme qu’on lui reproche dans sa gestion.
Khalifa, Karim et Idrissa, avec qui dealer ?
Alors, quelles sont ses autres options ? Bien sûr, avec leur retour prochain au-devant de la scène politique sénégalaise, les opposants Khalifa Sall et Karim Wade pourraient manifester au président actuel une certaine reconnaissance. Cela se remarque déjà dans le discours du premier d’entre eux. C’est dire que les conditions d’un deal avec ces deux-là son réunies. En contrepartie du cadeau qu’il leur fait de leur restituer leur éligibilité, ils pourraient lui promettre de lui garantir une post-présidence tranquille, voire même dorée. Sauf que Macky Sall serait naïf d’y croire et de reposer tout sur de tels engagements. Surtout si l’on prend en compte tout ce qu’il leur a fait endurer. En tout cas, de leur part, la tentation de la vengeance serait tout à fait naturelle. A ce jeu-là, c’est Idrissa Seck, l’ancien premier ministre, qui ferait office de joker idéal. Jusqu’à tout récemment à la tête du Conseil économique, social et environnemental, le leader du Rewmi a eu le temps de se rabibocher avec Macky Sall. En outre, il a pour lui l’atout de l’expérience, parce qu’il n’est pas tombé de la dernière pluie. Mais aux rayons défauts, il n’est pas certain que les Sénégalais aient oublié le scandale du chantier de Thiès.
Ousmane Sonko, tout un cas
Bref, comme on le voit, les solutions ne se bousculent pas pour une succession idéale pour Macky Sall. D’autant qu’il lui faudra parallèlement gérer le cas Ousmane Sonko, l’opposant qu’il ne veut pas sentir même en peinture. D’ailleurs, il ressort clairement de son discours d’avant-hier qu’il a ce dernier à l’œil et qu’il ne lui consentira aucun cadeau. C’est à croire qu’il en fait un point d’honneur. Bien sûr, son annonce de ne pas briguer le troisième mandat pourrait lui être utile face à Sonko. Mais il lui faudra prier pour que les Sénégalais ne se dressent pas justement contre cette fixation quasi obsessionnelle.
Macky pris à son propre piège
Mais en réalité, ce casse-tête là est la consécutive de l’attitude qui a été celle de Macky Sall. Il se retrouve ainsi pris à son propre piège. S’il n’avait pas entretenu aussi longtemps ce flou à propos de son troisième mandat, il aurait eu suffisamment le temps pour préparer à l’intérieur même de son camp politique, un successeur qui soit en mesure de gagner l’élection prochaine. Un successeur qu’il aurait eu le temps de connecter aux réseaux à la fois internes et externes. Un successeur qui n’aurait surtout pas à endosser le bilan de tous les grabuges et autres violations des droits humains en rapport avec la controverse autour du troisième mandat. Mais désormais, ce bilan est non seulement alourdi, mais en plus, il n’y a plus assez de temps pour passer l’éponge dessus. Conséquence, le président se prépare à une succession dont il ne maîtrise ni les tenants, ni les aboutissants. Et pour lui en particulier, cette perspective n’a rien de rassurant.
Boubacar Sanso Barry