L’Afrique serait-elle objet de manipulation au sujet du refus de la Russie de renouveler l’accord sur l’exportation des céréales ukrainiennes ? En tout cas, on a l’impression que le camp occidental se sert un peu trop insidieusement de l’Afrique pour mettre la pression notamment morale sur Vladimir Poutine. C’est pourquoi on entend toutes sortes de prévisions catastrophiques pour les pays de la Corne de l’Afrique en particulier. Par milliers, nous dit-on, des gens pourraient y mourir de faim, par la faute de la Russie. Or, à propos de ce lien qu’on établit ainsi entre la décision russe et les conséquences projetées en Afrique, il y a des raccourcis trompeurs. Des raccourcis qui tendent à faire croire que la ‘’misère africaine’’ est le mobile principal de la conclusion de l’accord. Alors qu’il n’en est rien. Par voie de conséquence, on s’efforce de faire que la Russie serait la seule responsable du pire que l’on annonce. Là aussi, la vérité est plus nuancée. De fait, dans ce débat, l’Afrique sert davantage de prétexte facile. Parce que son image d’éternelle assistée s’y prête.
Matraquage
Cela est systématique. A chaque fois que l’on évoque l’accord sur l’exportation des céréales ukrainiennes, on trouve toujours le moyen d’y adjoindre l’Afrique. Tout le monde s’y est mis. Des experts issus d’instituts recherche ou de think tank, aux responsables de l’Union européenne, en passant par les représentants onusiens et ceux d’agences dont le Programme alimentaire mondial (PAM). Le matraquage est tel qu’au sein des opinions publiques africaines, certains ont fini par se convaincre que cette fameuse initiative sur les céréales de la mer Noire, conclue en juillet 2022 entre la Russie et l’Ukraine, avec le soutien des Nations unies et de la Turquie, symbolisait en soi la magnanimité de l’Occident à l’endroit de l’Afrique. A coup sûr, il doit s’agir d’une manœuvre dont l’objectif d’une part, est de vendre aux Africains l’image d’un Occident compatissant, altruiste et humaniste à leur égard. Et que d’autre part, la Russie et son président Poutine sont insensibles, sans-cœur et égoïstes.
Miroir grossissant
Il se trouve qu’en réalité, seul le quart (27 %) des quelques 33 millions de tonnes de céréales exportées par l’Ukraine sont allées en direction des pays à faible revenu. Encore que là aussi, il s’agit de tous les pays de cette catégorie à travers le monde. Des pays au nombre desquels on peut citer le Yémen et l’Afghanistan notamment. Pourquoi alors ce miroir grossissant qui met toujours en avant les pays de l’Afrique dont le Djibouti, le Kenya, la Somalie, le Soudan du sud, l’Ouganda, l’Ethiopie et le Soudan, entre autres ? Cette fixation sur l’Afrique est d’autant plus curieuse, que 47 % des exportations ukrainiennes prennent la direction des pays à revenu élevé, tels l’Espagne, l’Italie, les Pays-Bas, et que le quart restant (26 %) est destinés, entre autres, à la Turquie et à la Chine. C’est dire qu’on ne nous dit pas toujours toute la vérité. A savoir que l’Afrique est loin d’être la raison d’être de cet accord. Dans ce débat, elle est davantage le dindon de la farce, dans la mesure où on se sert de son image pour mettre la pression, afin que d’autres puissent en profiter.
L’Occident ne fait pas mieux
Il résulte de tout cela que l’Occident n’est pas si charitable. Au contraire, il fait dans la manipulation. Ce qui est loin du statut de noble généreux qu’il voudrait pourtant revendiquer. Certes, la Russie n’est pas sainte et on devine aisément que Poutine ne vient pas conquérir l’Afrique par acquis de conscience. Mais sur ce point précis, l’Occident ne fait pas mieux. Parce que le généreux ne manipule pas plus faible que lui pour ses propres intérêts.
Boubacar Sanso Barry
