Du village de Tayaki, on dira qu’il relève de Conakry tout en étant très éloigné de la capitale guinéenne. Identifié comme 8ème secteur du quartier Kobaya, dans la commune de Ratoma, la bande de terre flottante peuplée d’environ un millier d’âmes n’est en effet distante dudit quartier que de 4 petits kilomètres. Une distance que l’on peut parcourir à la marche en moins de 2 heures. Cependant, la localité parait si éloignée de la capitale guinéenne qu’elle manque de tout. Aucune infrastructure de base digne de nom. Une seule école primaire offerte par une ONG suisse. Des habitations en forme de baraques. Ni centre de santé, ni poste de santé. Mais par-dessus tout, Tayaki est sevré de lumière. Privés du courant électrique dont le taux d’accès en milieu urbain était pourtant estimé en 2021, à près de 90 % par la Banque mondiale (contre 21,3 en zones rurales), les habitants qui y vivent baignent dans le noir à un jet de pierres des bordures lumineuses de Conakry.

A 10 ans, M’Mah Soumah a de quoi se considérer en principe comme une des enfants privilégiés de Tayaki. Elle figure en effet au nombre des rares gamins de cette bande de terre à aller à l’école. Mais il y a très peu de chance qu’elle poursuive sa scolarité jusqu’à terme. Déjà, l’année passée, elle avait redoublé la classe de CM1. Un échec imputable à plusieurs facteurs en rapport notamment avec la précarité qui prévaut à la fois dans le village et dans sa famille. Au nombre de ces facteurs, la jeune fille elle-même met en exergue le manque de courant électrique. « Notre enseignant nous dit toujours que pour maitriser le français, il faut que nous nous exercions à le parler à la maison avec nos parents. Il nous conseille également de regarder les dessins animés pour que nous puissions bien maitriser la langue ». Si des milliers de jeunes filles de son âge vivant de l’autre côté de la capitale guinéenne ont des répétiteurs et des tablettes pour faire leurs devoirs, M’Mah Soumah, elle, se plaint de ne pas pouvoir regarder les dessins animés. Parce qu’il n’y a pas de courant chez elle.

Les deux parents de M’Mah, n’ayant pas été scolarisés eux-mêmes, sont par ailleurs trop pauvres pour installer des panneaux solaires ou s’offrir un groupe électrogène. Sa maman, Mariama Bangoura, vendait du poisson frais tout au début. Une activité dont elle avait hérité de sa propre mère. Et le revenu qu’elle en récoltait bouchait bien de trous à la maison. Mais la trentenaire, mère de 7 enfants a dû arrêter son petit commerce. « En raison du manque du courant, indispensable à la conservation du poisson, j’ai été obligée de mettre fin à mon activité. Parce que s’il me faut acheter de la glace pour conserver le poisson ou un groupe électrogène, je ne pourrais pas m’en sortir », explique Mariama, avec une pointe de gêne. Elle s’est ensuite essayée à la vente du poisson fumé. « Mais j’avoue que c’est un exercice très fatigant, surtout si vous y ajoutez les travaux ménagers et champêtres », dit-elle.

Outre la scolarité incertaine pour M’Mah et l’impossibilité pour sa maman d’entreprendre une activité génératrice de revenu, le manque de courant électrique à Tayaki se traduit aussi pour de nombreux jeunes par une absence notoire de sites de loisirs. Le seul espace récréatif de la localité est en fait une baraque faite de feuilles de tôle qu’on appelle abusivement bar, ouvert et géré par un certain ‘’Jimmy Carter’’. La nuit tombée, quelques jeunes s’y retrouvent pour jouer aux cartes ou ‘’prendre un pot’’. Pour éclairer les lieux, ‘’Jimmy Carter’’ a accroché une lampe solaire au-dessus de son bar. « Il n’y a nulle part où aller. On se retrouve ici pour s’amuser. Quelquefois, quand la lampe n’est pas bien chargée, on termine la soirée à la belle étoile », confie un des jeunes, esquissant un sourire ironique.

En 2021, la Banque mondiale estimait le taux d’accès du courant électrique en Guinée à 46,8 %. Une proportion résultant de la construction des barrages hydroélectriques de Kaleta (240 mégawatts) et de Souapiti (450 mégawatts). Ce qui fait qu’avec une proportion de 77,1 %, les sources d’énergie hydroélectriques sont archi-dominantes en Guinée, contre respectivement 22,2 % (fossiles) et 0,7 % (solaire).

Ibrahima Kindi Barry