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La Guinée est-elle sous menace terroriste ?

 Le vendredi 17 novembre 2023, le ministre de la Justice et des Droits de l’homme a conféré avec les magistrats du pays. La rencontre entre Charles Wright et les présidents des tribunaux, les chefs de parquet (procureurs) ainsi que les chefs de greffe (greffiers en chef) visait à discuter des problèmes qui assaillent l’appareil judiciaire guinéen. Répondant à une question de l’ancien Procureur Général, le Procureur de la République près le Tribunal de première instance (TPI) de Kaloum, Mamoudou Magassouba, a confirmé la présence de terroristes sur le territoire guinéen.

Au cours des échanges, le garde de Sceaux a souligné l’impérieuse nécessité pour les magistrats de se spécialiser, notamment dans la lutte contre le terrorisme. « J’ai demandé aux Américains de nous aider à aller dans le cadre de la spécialisation sur ce point précis qui devient un enjeu pour notre pays », a déclaré Charles Wright, avant de demander au procureur de la République près le TPI de Kaloum si son parquet dispose de dossiers à caractère terroriste.

Une demande à laquelle Mamoudou Magassouba a répondu par l’affirmative. « Nous avons deux dossiers terroristes qui sont en cours d’instruction. Lors d’un séminaire, on nous a signalé la présence de terroristes dans des zones de Kankan, Mandiana et un peu vers la Forêt. En fait, ce sont des zones de passage. Ils ne viennent pas pour rester. Ils viennent soit pour des activités dans des zones minières ou dans les champs », a assuré le procureur de la République près le Tribunal de première instance de Kaloum.

Le ministre Wright a souhaité par la suite savoir « si le parquet de Kaloum est prêt, aujourd’hui, et à tous les moyens qu’il faut pour instruire de tels dossiers ».  « Oui, le doyen des juges d’instruction et moi avons été formés pour la direction des enquêtes en cas de crise: comment prendre en charge les victimes, mobiliser les enquêteurs et diriger les actes d’enquêtes. On a reçu des formations techniques en la matière », a souligné le chef de parquet de Kaloum, ajoutant que « nous avons participé à quatre séminaires de formations, en Egypte, deux fois en Côte d’Ivoire et une fois au Sénégal ».

 

Ce court échange entre le ministre Charles Wright et le procureur du TPI de Kaloum a rapidement fait la une des médias et des réseaux sociaux guinéens. En effet, plusieurs médias ont publié des articles annonçant la présence de terroristes en Guinée, dont Mediaguinee qui cite les propos du procureur de Kaloum.

“C’est un sujet très sensible”

Face aux multiples commentaires qu’il a suscités, nous avons décidé de nous intéresser à ce sujet. Nous avons ainsi contacté le procureur Magassouba pour authentifier sa déclaration. Dans le court entretien qu’il nous a accordé, le procureur du TPI de Kaloum a affirmé que ses propos ont été sortis de leurs contextes. « Ils ont été tenus lors de notre réunion. Vu que c’est un sujet très sensible, ça nécessite l’aval de la hiérarchie pour une communication », a-t-il indiqué.

Au même moment, l’armée intensifie les patrouilles le long des frontières au sud du pays. Dans la 4e région militaire, « la patrouille de longue portée a conduit les forces mixtes de la 4ème région militaire de N’Zérékoré le long de la frontière guinéo-libérienne ». Selon la Direction de l’information et des relations publiques de l’armée (DIRPA), la mission vise à s’imprégner du « climat sécuritaire entre la Guinée et le Liberia, rassurer les populations et toucher du doigt les conditions de vie et de travail des hommes en uniformes ».

Ces patrouilles ont-elles un lien avec la sortie médiatique du procureur Mamoudou Magassouba ? Au téléphone, nous avons posé la question au directeur de l’information et des relations publiques de l’armée, Toumany Camara, qui a répondu par la négative. « Chaque région fait des patrouilles. La quatrième région militaire couvre les frontières avec le Liberia, la Côte d’Ivoire et une partie de la Sierra Leone. C’est sa zone d’intervention. Ça n’a aucun lien », nous a-t-il assuré.

Nous avons aussi contacté le porte-voix du ministère de la Justice. Yaya Kairaba Kaba nous a affirmé « ne pas avoir d’informations outre que la déclaration faite par le procureur de Kaloum ». Il n’en dira pas plus, avant de nous renvoyer vers le ministre Charles Wright pour « l’obtention préalable d’une autorisation de prise de parole » sur le sujet.

Une déclaration qui suscite des « inquiétudes » 

A l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), Abdoulaye Bah estime qu’il y a « quelque chose qui cloche ». Le conseiller politique de Cellou Dalein Diallo soutient que la sortie médiatique du procureur de Kaloum a suscité des « inquiétudes et de la peur chez la plupart des Guinéens, surtout ceux qui sont en Haute-Guinée et la région forestière. Parce que le terrorisme n’est pas une affaire banale. Nous voyons ce qui se passe au Burkina, au Niger, au Mali… »

Ce haut responsable de l’UFDG, l’une des principales formations politiques du pays, déplore le fait qu’au lieu que « ça ne soit les procureurs de N’Zérékoré ou de Kankan qui annoncent cela, c’est le procureur de Kaloum, compétent sur une circonscription judiciaire très précise qui fait l’annonce ». Mais selon le ministre de la Justice, «  seul tribunal de Kaloum est compétent pour ces questions [de terrorisme] ».

« Le terrorisme est une menace qu’il faut confronter sans ménagement »

Dans nos recherches, nous avons également interrogé Régis Hounkpè, directeur exécutif d’InterGlobe Conseils et professeur de Géopolitique à l’École nationale supérieure des armées de Porto Novo au Bénin, pour connaître son avis sur le sujet. « Le contexte géopolitique instable en Afrique de l’Ouest et dans le Sahel a forcément des répercussions sur la Guinée. Et la recrudescence des attaques terroristes dans les voisinages, surtout au Mali, peut avoir son incidence », observe cet expert en communication stratégique et politique.

De l’avis de M. Hounkpè, « si la Guinée continue d’être relativement épargnée, cela est dû à sa géographie, même si son histoire politique et la géopolitique l’associent par certaines similarités avec le Mali, le Burkina Faso et d’autres pays de la région ». 

Il affirme que le « motif crapuleux » des groupes armés terroristes ne doit pas être exclu par rapport à leur « présence décelée » en Haute-Guinée et en Guinée forestière, suggérant de les combattre avec la dernière énergie. « Ces groupes ne viennent pas pour diffuser la tolérance et la concorde, ils sèment zizanie et terreur. Le terrorisme est une menace qu’il faut confronter sans ménagement, mais avec stratégie et vision », conseille-t-il.

Le conseil de la France à ses ressortissants

Sur le site du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, la France prévient ses ressortissants qu’en raison de la menace terroriste en Afrique de l’Ouest, « une attaque ne peut être exclue en Guinée ». Le Quai d’Orsay conseille aux Français « d’observer une vigilance accrue, particulièrement dans les lieux fréquentés par les expatriés, ainsi que dans les zones frontalières du Mali et de la Côte d’Ivoire, en raison d’un risque d’incursionsterroristes ».

Mesures envisagées

« Les terroristes ne sont pas des plaisantins. Nous avons à faire à des bandes de crimes organisés qui broient tout sur leur passage », avertit Abdoulaye Bah de l’UFDG, qui rappelle qu’un Etat qui dispose de « moyens humains, financiers, techniques ne doit pas se contenter d’une simple déclaration. Les terroristes ne doivent pas se balader sur une portion du territoire d’un Etat souverain comme s’ils étaient dans un marché hebdomadaire ».

L’ancien président de la Délégation spéciale de Kindia encourage l’Etat à « identifier les lieux où ils sont afin de sévir, en montrant que nous sommes capables de sécuriser aussi bien le territoire [guinéen] que les populations ».

Sur le sujet, le directeur des relations publiques de l’armée, Toumani Camara, s’est montré peu expressif. Mais « des dispositions sont prises », rassure-t-il, sans donner plus de détails, ajoutant que « la Guinée ne servira jamais de base arrière des groupes terroristes ».

A Kankan, à l’issue d’une réunion le lundi 20 novembre, le gouverneur de la région a annoncé une batterie de mesures. Des comités de veille et de vigilance préventive sont prévus dans chaque quartier. Le colonel Moussa Condé a appelé la jeunesse à collaborer avec les forces de défense et de sécurité via le numéro vert 129 en signalant toute activité suspecte.

La Guinée en état d’alerte

Un article de Pierre-Elie de Rohan Chabot du journal Africa Intelligence, publié le 24 mars 2023, révèle que la junte guinéenne arrivée au pouvoir après avoir renversé l’ancien président Alpha Condé, craignant une contagion djihadiste depuis le Mali, s’emploie à renforcer son maillage sécuritaire à la frontière. « Après avoir mis fin à une discrète collaboration avec les services secrets jordaniens, le colonel [Mamadi Doumbouya] s’est tourné vers Washington et Bruxelles pour obtenir leur soutien », rapporte-t-il dans cet article de mars dernier.

Il ajoute que la junte militaire au pouvoir à Conakry craint des « incursions d’éléments djihadistes depuis la région malienne de Kayes, où le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), affilié à Al-Qaeda, est de plus en plus actif ».

Une vigilance accrue est observée, depuis des mois, dans des mines d’or artisanales situées à proximité de la ville de Siguiri, à moins de 6o km de la frontière malienne. Pour parer à toute éventualité, les autorités guinéennes entendent ainsi déceler « l’implantation potentielle de cellules du GSIM dans cette zone où transitent de nombreux travailleurs maliens et burkinabè ».

Le général Sadiba Koulibaly, à l’époque chef d’état-major général des forces armées guinéennes, misait sur le déploiement d’éléments du Groupement des Forces d’Intervention Rapide (GFIR) au Nord du pays, à la frontière avec le Mali. « Cette unité a pour mission de mettre en œuvre des actions à développer dans le cadre de la traque du démantèlement et de la mise hors d’état de nuire, des cellules terroristes avant toute action de celle-ci. Elle intervient également dans la lutte contre le grand banditisme, la libération d’otages, la piraterie maritime, le détournement d’aéronefs », apprend-on dans le décret de création de cette entité.

La Guinée à la recherche de partenaires dans la lutte contre le terrorisme

Selon nos confrères d’Africa Intelligence, une « coopération avait été entamée dans la plus grande discrétion en 2020, et le General Intelligence Directorate (GID), [les services secrets jordaniens], avait ensuite régulièrement dépêché des agents en territoire guinéen ». Cette coopération a été interrompue après l’avènement au pouvoir, le 5 septembre 2021, du colonel Mamadi Doumbouya. Le journal d’investigation souligne que ce dernier avait été tenu à « l’écart du dossier lorsqu’il était patron des forces spéciales sous Alpha Condé ».

Auprès de l’Union européenne, le président de la transition guinéenne a plaidé pour le « déploiement d’un Groupe d’action rapide-Surveillance et intervention (GAR-SI) à la frontière avec le Mali ». L’initiative avait été évoquée au temps d’Alpha Condé. La requête a été réitérée en août 2022 via un « courrier adressé par le ministre de la Défense, le général Aboubacar Sidiki Camara, alias Idi Amin, à l’UE ». Cependant, d’après Africa Intelligence, « pour l’heure, Bruxelles n’a pas donné suite » à cette requête.

Parallèlement, Conakry négociait avec Washington pour la reprise des programmes d’assistance aux forces armées guinéennes. « Les Etats-Unis ont cessé toute collaboration dans le domaine militaire depuis le coup d’Etat du 5 septembre 2021 ». Une mesure qui reste officiellement en vigueur.

Quant à la France, elle a relancé sa coopération militaire avec la Guinée, qui avait été suspendue après le coup d’Etat. Elle a accepté de détacher des instructeurs auprès des troupes guinéennes stationnées à la frontière malienne.

Cet article a été rédigé par Ciré Baldé dans le cadre du projet d’Éducation au Média à l’Information et au Numérique Plus (EMIN +) avec le soutien de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF). Il a été édité par Thierno Ciré Diallo et approuvé par Boubacar Sanso Barry, Administrateur général du Djely.

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