Il est au pouvoir, mais Ousmane Sonko doit s’imaginer encore dans l’opposition. C’est la seule explication possible à l’appel à la vengeance qu’il vient de lancer en direction de ses partisans du Pastef, après des violences que son camp pourrait avoir subies dans la ville de Saint-Louis, dans le cadre de la campagne électorale au compte des législatives devant se tenir le 17 novembre prochain. Relayé via les réseaux sociaux, cet appel est le reflet d’une expression empreinte d’émotivité qui cache elle-même un déficit de responsabilité, indigne du poste de premier ministre qu’occupe le leader du parti au pouvoir. Mais au-delà, cette sortie donne à voir un agacement qui est peut-être révélateur du peu de prise que le chef du gouvernement a sur les ministres dont celui en charge de la Sécurité. Et c’est peut-être là un petit indice de la faille que le duo Sonko-Diomaye s’évertue à ne pas laisser transparaître.
Devoir d’unir et non de diviser
Les propos du premier ministre sénégalais sont aussi dangereux qu’ils sont sans équivoque. Ousmane Sonko ne fait ni dans la nuance, ni dans la subtilité. L’appel à l’application de la loi de Talion est d’une évidence qu’aucun démenti n’est possible. Certes, il indique que son camp a trop subi. Mais il se trouve que rien ne justifie qu’il tienne ces propos-là. Surtout, lui en particulier n’avait pas à faire cette sortie. Parce qu’il n’est plus qu’un leader politique quelconque. Mais un premier ministre qui doit agir au nom et pour le compte de l’Etat sénégalais. Justement, cette dimension de ses nouvelles responsabilités, Ousmane Sonko a du mal à l’intégrer et à se l’approprier. Autrement, il réaliserait que son devoir est désormais d’unir et non de diviser, de pacifier au lieu de provoquer des conflits. Il doit comprendre que son atout de ‘’franc-parleur’’ qui l’a tant servi quand il était opposant, ne lui est pas toujours nécessaire désormais. Son camp a beau été plébiscité à l’occasion de la dernière présidentielle, cela n’est pas pour autant un permis de tout faire. Tout au contraire, aujourd’hui plus qu’hier, Ousmane Sonko doit davantage user de la retenue et de la pondération à la fois dans ses propos et ses actes. Surtout quand il s’agit de s’adresser à ses partisans dont certains sont littéralement des fanatiques.
Un agacement révélateur ?
Au-delà d’une gaffe ordinaire, symptomatique d’une campagne électorale tendue, la sortie du premier ministre pourrait néanmoins trahir un agacement. En effet, outre l’appel à la vengeance proprement dit, Ousmane Sonko a aussi indiqué avoir appelé les ministres de la Sécurité et de la Justice à réagir, en vain. Il révèle même : « J’ai plusieurs fois interpellé monsieur M. le président de la République. Si l’Etat ne règle pas ce problème, nous allons le faire nous-mêmes et nous avons les moyens de le faire ». Ainsi donc, le chef du gouvernement n’aurait pas toute autorité sur ses ministres. Qu’un ministre fasse montre de discernement face à certaines instructions venant de son premier ministre, c’est plutôt rassurant en soi. Mais dans le cas présent, c’est d’autant plus une révélation qu’aux yeux de bon nombre d’observateurs, Ousmane Sonko passe littéralement pour un président bis. Et qu’à ce titre, il était inenvisageable qu’un ministre désobéisse à la moindre ses instructions. Sauf que le premier ministre nous apprend également que le président Bassirou Diomaye Faye lui-même ne s’était point hâté de prendre en charge ses requêtes. Et là, pour la première fois, on a quelque chose qui s’apparente à une divergence entre le chef de l’Etat et son premier ministre. Plus précisément, il y a là comme une preuve que Diomaye Faye n’agit pas systématiquement sous la dictée du chef de son gouvernement et que le président de la République est plus autonome qu’on a pu le croire jusqu’ici. Une éventualité qui ouvrirait la voie à des perspectives jusqu’ici insoupçonnées.
Boubacar Sanso Barry