Personne n’a compris grand-chose à la sortie totalement inattendue, le samedi dernier, du premier ministre malien, Choguel Kokalla Maïga. Sortie dans laquelle il s’en prenait curieusement aux militaires qui, détenant la réalité du pouvoir, l’ont pourtant nommé et dont il a défendu la cause depuis plus trois ans qu’il est à son poste. Profitant de la célébration de l’anniversaire de la prise de Kidal par les FaMa, le chef du gouvernement a dénoncé une gestion unilatérale du pays par la junte et s’est élevé contre une volonté que les militaires auraient de ne pas restituer le pouvoir aux civils. Toutes choses qui n’étonnent guère un observateur extérieur mais que l’on ne s’attendait à entendre de la bouche du premier ministre lui-même. Ces propos sont évidemment une grosse prise de risque pour Choguel Maïga. Mais qu’est-ce qui pourrait expliquer qu’il s’offre ainsi en agneau de sacrifice ? Quel objectif sous-tend-il une telle sortie et surtout comment espère-t-il capitaliser cette dernière ? Telles sont les questions qui mobilisent désormais les observateurs.
La junte fragilisée ?
La sanction logique à laquelle le premier ministre malien doit s’attendre est son limogeage. Parce qu’il ne s’agit pas là du coup d’un chantage dont l’objectif serait qu’il reconquiert la plénitude de ses prérogatives. La faute commise nécessite une réaction plus importante. D’ailleurs, le fait même que la décision de son renvoi de son poste n’ait pas été encore prise est peut-être un élément explicatif de l’audace dont Choguel Maïga a fait montre. Cela peut vouloir dire en effet que la junte malienne n’est pas si sereine pour virer aussi prestement le premier ministre. Qu’elle veut au moins prendre le temps d’en minimiser les risques potentiels. Un de ces risques suggérant qu’au sein de la bande des colonels qui avaient renversé feu Ibrahim Boubacar Keïta, en aout 2020, une brouille s’étant installée au gré de la Transition, le premier ministre est en réalité de connivence avec un camp. Cela pourrait expliquer qu’il se soit autorisé ce que d’aucuns décrivent de sa part comme relevant du courage. En tous les cas, Choguel Maïga doit avoir ciblé un moment de fragilité particulière pour la junte pour assener ce coup rude.
Régénération de son aura
Il se dit aussi que, se sentant en mauvaise posture, le premier ministre veut créer les circonstances de la régénération de son aura perdue auprès d’une certaine opinion publique malienne. Autrement, jouer le héros et défenseur des causes justes, en enfonçant les militaires et provoquer de ce fait son limogeage. Ce qui avec l’aide de l’émotion que cela pourrait susciter auprès de certains, ferait de lui une victime. Et vu que la rue a tendance à avoir de la compassion pour les victimes, il en serait réhabilité, alors même qu’au sein du M5-RFP, il était jusqu’à récemment perçu comme ayant trahi la cause du mouvement et aidé à réduire à néant des années de combat. Suivant cette hypothèse, conscient que son limogeage était programmé, le premier ministre aurait mis en scène cette sortie, pour s’aménager un meilleur point de chute.
Le risque de tout perdre
En soi, la stratégie révèlerait alors une certaine intelligence et un don de scénariste de la part du chef du gouvernement. Parce qu’il faut avouer que cette sortie a jeté un doute dans les rangs des militaires à la tête de la transition malienne. Mais il n’est pas très certain que l’effet de la mise en scène soit durable. Le général Assimi Goïta et ses camarades pourraient même très vite sortir de ce traquenard. Or, l’effet de la stratégie que Choguel Maïga attend de la part des populations maliennes, lui aussi, pourrait avoir été surévalué. D’abord, parce que le premier ministre lui-même a aidé à réduire l’opposition malienne à sa plus petite expression. Ainsi, il n’y a plus grand-monde sur qui il pourrait compte dans la perspective de sa reconversion, de premier ministre à opposant. Ensuite, parmi les opposants qui demeurent encore sur place, beaucoup pourraient ne pas lui pardonner justement le rôle nocif qu’il aura joué dans l’extinction du débat libre et de la contradiction dans le pays. Bref, il pourrait bien perdre son poste et ne pas pouvoir, comme il l’espère, rebondir.
Boubacar Sanso Barry