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Guinée : A quand la réforme du secteur public ?

En soixante ans d’indépendance, la Guinée a investi des milliers de milliards dans ses entreprises publiques. Rien que ces dix dernières années, des centaines de milliards y ont été engloutis. Résultat ? Peu d’emplois, peu de croissance, aucune transformation structurelle. Non pas faute de moyens, mais faute de cap.

En vingt-deux ans, soit l’âge moyen des entreprises du portefeuille public, ce système a laissé échapper près de 78 milliards USD de valeur économique. Non pas parce que les moyens manquaient, mais parce que les effets escomptés étaient déconnectés des investissements réellement effectués. Aujourd’hui, 66 % des entreprises publiques guinéennes sont structurellement désalignées, et 98 % fonctionnellement. Dans un tel contexte, chaque franc investi est voué à l’échec. Le portefeuille public s’est transformé en véritable machine à destruction de valeur.

On change les dirigeants, on promet des sanctions, on multiplie les audits. Mais on évite toujours de remettre en cause le système lui-même. Comme si mieux gérer l’incohérence suffisait, plutôt que d’y mettre fin. Au final, l’absence de stratégie transforme chaque décision en improvisation.

Le Guinéen lambda ne mesure pas toujours à quel point la gestion du portefeuille public façonne son quotidien : emploi, services, souveraineté économique. Mais le plus inquiétant, c’est que l’État lui-même semble agir sans toujours en mesurer les implications. Il finance, il compense, mais il ne pilote pas. Il ne fixe pas de cap clair.

L’État attend tout de ses entreprises publiques : qu’elles servent, qu’elles rentabilisent, qu’elles emploient, qu’elles incarnent la souveraineté. A force de leur assigner toutes les missions, on les condamne à n’en réussir aucune. Et quand elles échouent, c’est encore l’Etat qui assume : budgétairement d’abord, politiquement ensuite.

Ce flou est même inscrit dans la loi. La Loi 056, censée encadrer la gouvernance financière, impose un cadre unifié à toutes les entreprises publiques, sans distinguer leur nature ou leur vocation, qu’il s’agisse de service public (EDG, SEG), de souveraineté (GUILAB, SOGEAC), de gestion patrimoniale (SOGUIPAMI, ONT), ou de marché (Areeba, SNG), toutes sont régies par les mêmes règles. Résultat : une mécanique rigide, inadaptée, incapable de produire autre chose que la confusion.

À cela s’ajoute une prolifération d’entités, EPA, directions générales, sociétés publiques, qui alourdissent le système, créent des redondances et brouillent les chaînes de commandement. Les tutelles sectorielles s’ingèrent dans la gestion quotidienne, sans en assumer les conséquences. Résultat : les dirigeants sont pris dans des injonctions contradictoires et placés dans un système qui empêche la réussite.

Le problème n’est pas une simple faillite managériale. On s’obstine à pointer du doigt la gestion alors que c’est le système qui est malade.

Chaque année sans vision est une année perdue : en croissance, en emplois, en souveraineté. Le danger n’est pas de se tromper, mais de ne pas vouloir comprendre pourquoi, ni comment corriger.

Simandou 2040 représente une opportunité historique. Ce projet n’est pas qu’un gisement : c’est un point de bascule. Il peut devenir le socle d’une transformation industrielle, à condition que l’écosystème public sache capter et amplifier ses effets : emplois qualifiés, industries locales, désenclavement, compétences. Sinon, ce sera un rendez-vous manqué.

L’enjeu est clair : sans cadre stratégique, même l’abondance génère de la dépendance. Ce n’est pas le manque de ressources qui freine un pays, c’est l’incapacité à les transformer en trajectoire soutenue.

La Guinée n’a pas seulement besoin d’un plan d’action. Elle a besoin d’un cadre stratégique qui structure ses ambitions, hiérarchise les priorités, et aligne les moyens aux objectifs. Partout où des pays ont enclenché une croissance durable, trois conditions étaient réunies : une politique d’actionnariat claire, une réforme structurelle du secteur public, et un pilotage stratégique centralisé. Aujourd’hui, la Guinée ne remplit aucune de ces conditions.

Avec une stratégie cohérente, la Guinée pourrait enclencher une croissance soutenue, proche de 15 % par an, et créer jusqu’à 4 millions d’emplois d’ici 2040. Mais cela suppose une rupture nette : que l’Etat assume enfin son rôle d’actionnaire, d’arbitre et de bâtisseur, avec une politique claire pour faire de l’action publique un levier de puissance.

Le pays ne manque pas de ressources. Ce qui fait défaut, ce sont les fondations : l’organisation, la méthode, le système.

Alors, à quand la réforme du secteur public ?

Les données, hypothèses de croissance et estimations de rendement public mobilisées dans cet article s’appuient sur la théorie de la maximisation de la valeur publique, dite “Méthode 4X4X4”. Cette méthode propose un cadre analytique permettant à l’État d’identifier, pour chaque entreprise publique, le niveau d’actionnariat optimal en fonction de la valeur à produire.
KAHN, Oumou. Théorie de la Maximisation de la Valeur Publique (The 4X4X4 Method for Maximizing Public Value), SSRN. https://ssrn.com/abstract=5237152

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