Le 31 décembre dernier, en livrant son discours de nouvel an depuis le Haut-commissariat de Solenzo, dans la province de Banwa, le capitaine Ibrahima Traoré, président de la Transition du Burkina Faso, au-delà d’un exercice classique, voulait envoyer un message. Solenzo que les troupes burkinabè venaient de libérer des mains des djihadistes passait dans cette prestation pour le symbole de la détermination que les nouvelles autorités entendent mettre dans la lutte contre le terrorisme dont souffre le pays depuis sept ans. Eh bien, l’ennemi en face n’entend manifestement pas se laisser impressionner. C’est du moins un des enseignements à tirer du double enlèvement de jeudi et vendredi dernier à Arbinda, dans le nord du pays. Un rapt dont la particularité réside dans le fait que les otages sont des femmes. Une cinquantaine, selon des sources concordantes. Mais c’est surtout un rapt qui donne la mesure des défis auxquels le pays des hommes intègres est confronté avec ces pans entiers du territoire qui échappent au contrôle de l’Etat burkinabè.
Chibok et Inata
Le double enlèvement d’Arbinda rappelle deux autres événements de sinistre mémoire. D’abord, les filles de Chibok au Nigéria. Bien sûr, les 276 filles nigérianes enlevées en 2014 étaient numériquement plus importantes et probablement plus jeunes que les otages d’Arbinda. Mais si l’on songe à tout ce que ces pauvres filles avaient dû endurer de la part de leurs ravisseurs, on ne peut que prier pour que les otages d’Arbinda soient retrouvées le plus tôt possible. Autrement, elles sont parties pour servir soit de bouclier humain ou d’esclaves sexuelles. L’autre événement auquel Arbinda nous rappelle, c’est l’attaque contre la garnison d’Inata, le 14 novembre 2021. Episode ayant précipité la chute du président Roch Marc Christian Kaboré, cette attaque qui avait coûté la vie à 53 gendarmes burkinabè a ceci de similaire avec l’enlèvement récent des femmes, en ce que ces pauvres gendarmes aussi, tenaillés par la faim, étaient partis cueillir des fruits et des légumes sauvages en brousse. A l’époque, on avait dénoncé des défaillances de la chaine de ravitaillement de l’armée. On avait pointé un doigt accusateur sur une hiérarchie de la grande muette qui, s’étant embourgeoisée, ne se préoccupait pas suffisamment du sort de ceux qui défendent le pays sur le front anti-terrorisme.
Elles ont préféré bravé le danger et les risques
Cette fois, le coupable n’est pas forcément la corruption au sein de l’armée. A Arbinda, le mal, c’est ce blocus que les terroristes imposent à une vaste partie du territoire burkinabè. Ne pouvant être ravitaillées en vivres à partir des villes encore sous contrôle de l’Etat burkinabè, ces pauvres femmes, craignant sans doute que leurs enfants ne périssent du fait de toutes les privations qui leur sont imposées de fait, ont préféré braver le danger et les risques. En l’absence de denrées aussi basiques que le pain, le riz, le sucre ou encore l’huile, elles n’ont pas eu le choix. Incapables de se résoudre à assister impuissantes à l’extinction progressive de la vie de leurs enfants, déjà rendus suffisamment chétifs, elles sont allées en brousse pour chercher des feuilles, des fruits et des légumes sauvages. Elles espéraient en revenir, leurs charrettes pleines à ras bord. Malheureusement, de la soixantaine qui sont parties le jeudi et le vendredi, une cinquantaine restent introuvables encore.
L’autre visage abject du terrorisme
Ce drame est l’autre visage abject du terrorisme, en plus des attentats et les interminables listes macabres qui les accompagnent. Ces populations qui n’ont rien fait pour mériter qu’on les contraigne à vivre comme nos cousins les singes, en trouvant leur nourriture en brousse, voilà que rien ne peut justifier. Et que dire de ces femmes, privées des leurs et qui manquent déjà à leurs proches et à toute la nation burkinabè ? Que dire d’elles, livrées désormais à la merci de bourreaux qui n’ont plus rien d’humain ? En réalité, on n’ose même pas imaginer ce qui les attend de la part d’islamistes dont le savoir coranique ne sert qu’à des fins de manipulation des masses. Mais l’enlèvement de ces femmes doit nous rappeler l’impératif de mettre de côté nos égos et nos intérêts partisans, pour mettre toutes nos énergies au service de la reprise en main de nos pays respectifs. Car il est temps que tout cela s’arrête. Pour les populations, en particulier celles qui sont loin de nos centres urbains, surprotégés, l’enfer n’a que trop duré.
Boubacar Sanso Barry