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Tribune : les armes se substituent aux urnes en Afrique de l’ouest

 « Laissez la tyrannie régner sur un mètre carré, elle gagnera bientôt la surface de la terre », disait le président François Mitterrand dans son ouvrage l’Abeille et l’Architecte. En le paraphrasant grossièrement, on peut dire que « la CEDEAO, pour avoir laissé prospérer le coup d’État contre un président démocratiquement élu au Mali, tous les autres pays de la sous-région s’exposent dorénavant au même sort ». Avec le Niger, ce n’est plus un, ni deux, ni trois, mais quatre pays membres de la CEDEAO qui ont fait l’objet de coups d’État et se trouvent placés sous le joug d’individus armés, parfois incultes, qui n’ont pourtant jamais recueilli l’avis et le consentement de leurs peuples. Comme une trainée de poudre, les renversements de régimes élus démocratiquement se répandent et gagnent du terrain dans les pays francophones de la sous-région. Malheureusement, les réactions de l’institution sous régionale restent sous-dimensionnées et non adaptées à cette situation préoccupante.

Comme un refrain, les juntes militaires dans ces quatre pays prennent le prétexte de la dégradation sécuritaire dans leurs pays respectifs (Burkina Faso, Mali et Niger) ou la mal gouvernance (Guinée) pour motiver leurs actions. Ils promettent aussitôt d’œuvrer à l’amélioration des tares qu’ils dénoncent.

Malgré ces motivations, les canons peuvent-ils se substituer aux urnes dans notre sous-région comme moyen pour se hisser à la magistrature suprême ? Les raisons invoquées par ces juntes militaires sont-elles légitimes ou suffisantes pour justifier des transitions à « durée illimitée » ? Et surtout quelles mesures doivent être entreprises notamment par la CEDEAO pour enrayer durablement cette épidémie de putsch qui ébranle nos démocraties naissantes ?

Les éléments de réponse à ces quelques questions sont le lieu pour souligner l’absence de légitimité et de fondements pour soutenir la substitution des armes aux urnes dans une société civilisée (I). Et compte tenu de la récurrence ces dernières années, en Afrique occidentale francophone, des renversements de pouvoirs élus démocratiquement, il appartient à la CEDEAO d’agir énergiquement pour arrêter l’hémorragie que subit la démocratie dans notre sous-région (II).

I. COUPS D’ÉTAT, UN LEURRE CONTRE DES PROBLÈMES RÉELS OU SUPPOSÉS.

Disons-le d’emblée, rien ne justifie un coup d’État. « Par définition, le coup d’État est un attentat contre la liberté publique, qui réside essentiellement dans l’équilibre des pouvoirs organisés. » (Emmanuel Cherrier). Les interventions des militaires sur la scène politique rompent les équilibres en place dans un pays et constituent une menace pour l’intégration et le développement socio-économique de la sous-région. Elles entrainent une accentuation des risques de déstabilisation politique et sécuritaire par la désorganisation de la chaine de commandement.

Tout d’abord, la question sécuritaire utilisée comme étendard par les juntes militaires malienne, burkinabè et maintenant nigérienne peut paraitre légitime en apparence dans la mesure où les forces de défense et de sécurité sont en première ligne sur ce sujet. Toutefois, en y regardant de plus près, l’on est marqué par le fait que ces militaires factieux sont loin de faire mieux que les régimes civils qu’ils ont remplacés. Certains pays ont changé de partenaire militaire en abandonnant la France au profit des mercenaires du Groupe Wagner. Fort malheureusement, la situation sécuritaire ne s’est guère améliorée et s’est même dégradée par endroits depuis l’arrivée des putschistes au pouvoir au Mali et au Burkina. Ces faibles résultats délégitiment cette motivation sécuritaire pour justifier un coup d’État. Il ne faut guère se leurrer, « le pire de tous les despotismes, c’est le gouvernement militaire » (Robespierre). Ils ne feront jamais mieux que les gouvernements civils qu’ils dénoncent avec vigueur et fougue dans leurs messages de prise du pouvoir.

En réalité, seuls la soif du pouvoir et l’égo surdimensionné de ces soldats expliquent ce passage à l’acte. Dans nos pays, le premier officier militaire contrarié s’attaque à l’autorité politique suprême. En Guinée comme au Niger, il semble que les présidents qui ont été victimes de coups d’État s’apprêtaient à limoger les officiers qui les ont renversés. Par une hubris extraordinaire, ces militaires de bureaux climatisés se croient inamovibles au point qu’aussitôt évoquée leur destitution, ils s’empressent de prendre pour cible, par le biais des armes acquises avec l’argent du contribuable, celui qui s’est pourtant démocratiquement présenté devant les électeurs et recueilli le suffrage de ses compatriotes.

De telles actions s’apparentent à la loi du plus fort qui prévaut dans la jungle et n’ont pas lieu d’être dans nos États civilisés. Ces réactions sont en réalité la traduction d’une déficience dans la formation des officiers militaires dans la partie francophone de la CEDEAO. Tout militaire doit en effet intégrer que l’armée est au service de son pays sous l’autorité du pouvoir politique, seul représentant du peuple. Et tout militaire, officier soit-il, doit se soumettre au pouvoir civil sans se sentir rabaissé du fait du commandement civil. La loi du plus fort à laquelle recourent ces juntes militaires reflète un instinct et une totale absence du sens des responsabilités politiques. Pour preuve, « un militaire sans formation politique, idéologique est un criminel en puissance » disait Thomas SANKARA. Perpétrer un coup d’État est un crime, il devrait être traité et qualifié ainsi.

Par ailleurs, le message et le symbole qu’adressent ces putschistes aussi bien à la jeunesse qu’aux responsables politiques de notre continent sont catastrophiques ? Ces juntes font comprendre aux populations d’un continent à majorité jeune qu’il est inutile de faire de longues études, d’entamer une carrière politique afin d’espérer un jour pouvoir accéder aux hautes fonctions civiles. Ils nous enseignent qu’il est nettement préférable de bien s’entrainer aux maniements des armes et de bien s’équiper le moment venu pour prétendre diriger un pays en s’attaquant et renversant lâchement les détenteurs du pouvoir politique. L’exemple Guinéen est illustratif à cet égard. En effet, depuis le coup d’État du 5 septembre 2021, l’armée est devenue le principal recruteur du pays à travers de nombreuses campagnes de recrutement.

Cette épidémie de coup d’État peut paradoxalement avoir pour conséquence la résurgence dans notre sous-région de mouvements rebelles pour soutenir les conquêtes du pouvoir de responsables politiques déchus ou désespérés, comme ce fut le cas dans les années 1990. Si le militantisme ne suffit plus à accéder au pouvoir ou s’y maintenir, il va sans dire que les stratégies de certains responsables politiques risquent d’évoluer pour prendre en compte cette nouvelle donne. Un engrenage sans fin nous guette et pourrait faire osciller nos pays entre coups d’État à répétition d’un côté et recours à des mouvements rebelles, parfois aidés de mercenaires étrangers, pour aider à renverser les régimes élus ou transitoires de l’autre côté.

Pour toutes ces raisons, il est indispensable que la CEDEAO prenne la mesure des difficultés posées par ces mouvements d’humeur pour y apporter des réponses idoines.

II. CROISER LE FER AVEC LES JUNTES MILITAIRES

Les sanctions individuelles habituelles prises contre les militaires qui réalisent des putschs ont clairement montré leurs limites et leur absence de dissuasion. Le traitement exclusivement diplomatique des coups d’Etat atteint tout aussi ses limites car il débouche souvent sur des transitions à durée indéterminée, caractérisées par des manœuvres dilatoires entreprises par les autorités de transition pour se maintenir, de façon illégale et illégitime, aussi longtemps que possible au pouvoir. D’autres outils et méthodes doivent s’y substituer. Nous proposons quatre séries d’actions rapides et coordonnées à mettre en œuvre dès les premières heures d’un coup d’État. Elles peuvent être expérimentées dans le cadre du traitement du coup d’État nigérien.

Au niveau diplomatique, sans attendre les réunions et sommets extraordinaires des chefs d’État et de gouvernement de la CEDEAO, une mission de la conférence des chefs d’État devrait se rendre rapidement dans le pays concerné pour négocier le départ volontaire des militaires factieux et le rétablissement du président démocratiquement élu dans ses fonctions. Il est fondamental à ce titre, de bien faire comprendre à ces juntes militaires que l’échec de ces négociations les expose au recours à l’option militaire.

Au niveau militaire, une force d’intervention d’urgence anti-putsch, telle que proposée par le président Umaru Sissoco Embaló de la Guinée-Bissau, lui-même victime d’une tentative de coup d’État en février 2022, doit être instituée et prête à intervenir en seulement quelques jours. L’argument de l’ingérence ne doit ainsi plus être un frein à une intervention structurée dans les pays victimes de renversements de régimes élus démocratiquement pour rétablir l’ordre constitutionnel. Les traités devront être revus en conséquence et les pays concernés actuellement par des transitions militaires ne sauraient faire obstacle à cette révision eu égard à leurs suspensions des organes de décision de la CEDEAO.

Au niveau économique, il convient d’imposer plus rapidement un embargo et un blocage de tous les accès et de toutes les frontières du pays, en veillant toutefois à ne pas affecter les populations en laissant par exemple hors du périmètre des sanctions les biens de première nécessité.

Enfin, au niveau judiciaire, il est indispensable de pénaliser véritablement les coups d’État qui pourraient être qualifiés de crimes de haute trahison. Les putschistes doivent être systématiquement poursuivis devant les tribunaux sous régionaux, régionaux et internationaux et la CEDEAO devrait se doter de compétences de poursuites qui en découlent. Une révision des traités est tout aussi nécessaire sur ce point.

Conclusion :

Par des mots forts, justes et proportionnés, le nouveau président nigérian, M. Bola Tinubu, déclarait à l’issue de la conférence des chefs d’État de la CEDEAO du 9 juillet 2023, « Nous n’avons pas investi dans nos armées, leurs uniformes, leur entraînement, leurs bottes, pour qu’elles se retournent contre le peuple. Nous avons investi en eux pour défendre la souveraineté de leur pays, mais maintenant, ils aspirent à établir leur propre gouvernement. Nous devons réagir, nous ne pouvons pas rester comme des chiens sans dents à la CEDEAO. Nous devons mordre si nécessaire. »

Il est enfin temps de mettre en pratique ces mots. Les discours et les communiqués doivent laisser place à l’action. La démocratie dans notre sous-région est en situation de « mort cérébrale ». Sa survie dépendra de la force et de la vigueur des réactions de la CEDEAO face à ce coup d’État de trop.

Guillaume BANGOURA et Karamoko KOUROUMA

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