On ne sait pas encore si le président sénégalais réussira son coup de force. Mais si le glissement que vient de lui accorder le parlement venait à prospérer, on entrevoit déjà deux victimes qui ne s’en remettraient probablement pas : le très exceptionnel modèle démocratique sénégalais et la CEDEAO. Cette dernière en particulier a intérêt à ce que Macky Sall ne triomphe pas de la volonté de ses compatriotes. Autrement, il n’en restera plus de cette organisation, dans une tourmente depuis quelques années, parce qu’impuissante à gérer les crises dans nombre de ses pays membres. Et c’est peut-être ce pour quoi on commence à percevoir un bout de fermeté de l’organisation vis-à-vis des velléités de Macky Sall.
Par les temps qui passent, il n’est pas bon de se revendiquer de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO). Cette organisation qui, jusqu’à récemment, passait pour le modèle à suivre en Afrique, fait face désormais à des défis existentiels. La faute sans doute à une inefficacité notoire dans la gestion des crises sous-régionales par l’organisation. Une inefficacité pouvant elle-même découler des faibles ressources de la CEDEAO et de certains blocages politiques inhérents à ce type d’ensemble. Conséquence, depuis environ 5 ans, l’organisation fait face à une défiance qui a culminé récemment avec l’annonce par le Mali, le Burkina Faso et le Niger de leur retrait de l’entité comprenant 15 pays. Et c’est alors que Bola Tinubu et ses homologues qui ne savent plus où donner de la tête, se creusaient les ménages pour savoir par quel bout prendre le défi consécutif à ce triple retrait, que Macky Sall dont le pays est un maillon essentiel de l’organisation, sort de son chapeau ce fameux report de l’élection du 25 février.
‘’Que faire ? Comment s’y prendre’’ ? Telles sont les questions qui doivent trotter dans la tête de ceux des dirigeants de la région qui rêvent encore de sauver les meubles. Mais en réalité, les réponses ne se bousculent pas. Bien sûr, que dans son communiqué de ce mardi 6 février, la CEDEAO ait clairement « déconseillé toute action ou déclaration qui pourrait aller à l’encontre des dispositions de la constitution », cela fait quelque chose de nouveau dans son approche des crises. Cela nous change de ces communiqués laconiques dont ne peut habituellement rien tirer. Mais aux yeux de l’opinion publique, le changement attendu doit être plus manifeste. Parce qu’en réalité, on accuse l’organisation de faire dans du deux poids deux mesures. Autrement, de lourdes sanctions contre les auteurs de coups d’Etat au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Mais les félicitations et le tapis rouge pour Alassane Ouattara et dans une certaine mesure pour Alpha Condé. Ce qui fait dire à certains détracteurs que les agissements de l’organisation sont davantage guidés par des intérêts extérieurs à la région que par les aspirations et préoccupations des populations ouest-africaines.
Bref, de la CEDEAO, on attend des réformes en profondeur et une profonde remise en question. Mais surtout, on s’attend à ce que cette évolution escomptée se manifeste dans la gestion de la crise institutionnelle qui vient d’éclater au Sénégal. A minima, l’organisation doit clairement prendre position contre Macky Sall. On voudra même que des sanctions soient prises. En gros, qu’à nouveau, la CEDEAO brandisse les muscles et fasse monstre de fermeté dans sa condamnation du coup d’Etat institutionnel de Macky Sall, comme elle l’a fait vis-à-vis de ceux militaires. Mais dans l’absolu, une sortie honorable de cette crise pour la CEDEAO, ce serait qu’elle réussisse à convaincre le président sénégalais de renoncer à sa forfaiture. Qu’elle utilise la menace ou la diplomatie, peu importe. C’est le résultat qui comptera davantage. Mais ce défi, elle doit le relever absolument. Si elle veut se donner une chance d’exister encore !
Boubacar Sanso Barry