Après la polémique que le premier ministre, Ousmane Sonko, a soulevée sur la question en juillet dernier, l’Etat sénégalais décide de trancher formellement le débat sur le port des signes religieux dans les écoles. Désormais, en vertu d’un arrêté publié 6 octobre dernier, aucune école du pays de la Teranga ne saurait interdire le port du voile, de la Croix ou des perles sacrées en son sein. Sur le principe, si le nouveau texte a le mérite de nous sortir de l’informel et de nous prémunir de la confusion à laquelle celui-ci pouvait donner lieu sur un sujet aussi sensible, il y a que dans les faits, il ne fait qu’entériner un consensus qui était déjà en vigueur. Au point qu’on peut se demander si la controverse, au-delà des retombées politiques que certains pourraient en escompter, était si nécessaire. D’autant qu’elle a quelque peu ébranlé la cohabitation harmonieuse que musulmans archi-majoritaires et chrétiens minoritaires, avaient jusqu’ici réussi à nouer dans un Sénégal dont l’identité première est l’hospitalité et dont le premier président se nomme Léopold Sedar Senghor.
Sortie inopportune
Les politiques ont souvent cette fâcheuse tendance à soulever des problèmes où il n’y en a pas. C’est un peu ce qui est arrivé en fin juillet dernier avec cette sortie tout aussi inopportune qu’inattendue du premier ministre sénégalais sur le port du voile islamique dans les établissements scolaires. Alors qu’il prenait part à une cérémonie de récompense des meilleurs élèves du pays, interpellé par une d’entre eux sur les difficultés que les élèves arabisants auraient à évoluer dans le cursus ordinaire, Ousmane Sonko, dans une logique de dénonciation de la tendance que l’Occident a d’imposer son modèle au monde entier, lançait : « Certaines choses ne peuvent plus être tolérées dans ce pays. En Europe, ils nous parlent constamment de leur modèle de vie, mais cela leur appartient. Au Sénégal, nous ne permettrons plus à certaines écoles d’interdire le port du voile ». Un coup de sang que les responsables des écoles catholiques du pays avaient accueilli comme une attaque les ciblant tout particulièrement. En sorte que la polémique qui en avait résulté avait agacé jusqu’aux proches du tonitruant chef du gouvernement.
Diatribe exagérée
Même si elle a fini par accoucher d’un texte de la part du ministère de l’éducation, cette sortie n’avait pas sa raison d’être. Parce que le problème auquel elle a trait n’existe pas en tant que tel. Une des seules fois où la question du port du voile dans les écoles s’est posée au Sénégal, c’était dans le cas de ce qui est notoirement appelé ‘’Affaire Jeanne d’Arc’’. En 2019, à l’ouverture des classes, une vingtaine d’élèves voilées avaient en effet été refoulées par l’école Sainte-Jeanne d’Arc, parmi les plus réputées du pays. Mais grâce à l’implication concertée des autorités et du Vatican, les 24 élèves avaient été réadmises en classe. En dehors de ce cas isolé, les élèves sénégalais, toutes confessions confondues, sont accueillis dans tous les établissements sans aucune forme de restriction. C’est dire que la diatribe du premier ministre était exagérée.
Calcul politicien
Mais on imagine qu’il l’a lancée à dessein. Populisme religieux ou instrumentalisation politique, c’est selon. En tout cas, les participants à la cérémonie de fin juillet rapportent que les propos d’Ousmane Sonko avaient été chaleureusement applaudis. On imagine que dans ce pays où les musulmans représentent jusqu’à 95 % de la population, dans l’optique des législatives en perspectives, le camp Sonko s’attend à ce que l’évolution induite par cette polémique puisse lui rapporter quelques voix supplémentaires. Il est donc possible que tout cela soit à des fins politiciennes. Mais il est évident que ce type de calcul, s’il peut se révéler bénéfique sur le court terme, peut tout aussi être porteur de germes de division. S’il est donc admis que politique rime souvent avec cynisme, il ne faut cependant pas en abuser. Surtout si les sujets nécessitant de vrais débats ne manquent pas.
Boubacar Sanso Barry