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Tchad : quand l’héritage se confond au verrouillage démocratique

La scène politique tchadienne vient de connaître un tournant qui illustre à bien des égards le fossé grandissant entre les aspirations de la jeunesse africaine et les pratiques de ses dirigeants. Alors que sur les réseaux sociaux, les jeunes se moquent du président camerounais Paul Biya pour son entêtement à rester au pouvoir après 43 ans de règne, d’autres chefs d’Etat du continent se plaisent cependant à marcher dans ses pas. La dernière illustration en date est celle de Mahamat Idriss Déby Itno.

A l’initiative de son parti, le Mouvement patriotique du salut (MPS), le Parlement tchadien vient en effet d’adopter des modifications constitutionnelles qui offrent au président la possibilité de rester à la tête du pays aussi longtemps qu’il le souhaite ou que sa santé le lui permette. Le mandat présidentiel passe désormais de 5 à 7 ans, et surtout, le nombre de mandats n’est plus limité. Le chef de l’Etat pourra également cumuler ses fonctions de président et de leader de parti. Quand on se souvient que son père, feu Idriss Déby Itno, avait passé trois décennies au pouvoir, on se dit que le fruit n’est décidément pas tombé loin de l’arbre.

Cette révision constitutionnelle symbolise l’attitude décomplexée – certains diront arrogante – de dirigeants africains de la nouvelle génération. Dans un pays miné depuis plus de 60 ans par la pauvreté et la précarité, malgré des ressources naturelles considérables notamment pétrolières, il faut une certaine audace politique pour acter un tel recul démocratique. La misère persistante du Tchad étant en grande partie le produit de l’incurie et de l’irresponsabilité de son élite dirigeante.

En avril 2021, à la mort d’Idriss Déby sur le front, l’armée avait désigné son fils pour lui succéder. L’opinion, inquiète mais faisant contre mauvaise fortune bon coeur, espérait alors voir Mahamat se démarquer du style de son père. Quatre ans plus tard, ces espoirs semblent trahis. Le nouveau président reproduit les mêmes pratiques, sans même prendre la peine d’obtenir un semblant de légitimité populaire. En 2005, Idriss Déby père avait organisé un référendum pour faire sauter le verrou de la limitation des mandats. Mahamat, lui, s’est contenté d’un vote parlementaire.

Le problème dépasse toutefois la seule famille Déby. Il tient aussi à l’ensemble de la classe politique tchadienne. L’exemple de Saleh Kebzabo est révélateur : opposant farouche à Idriss Déby père lors de la révision constitutionnelle de 2005, il est devenu Premier ministre de Mahamat Déby entre 2022 et 2024 avant d’accepter le poste de médiateur de la République. Autre figure emblématique : Succès Masra. Longtemps perçu comme un espoir de la jeunesse, il s’est compromis en acceptant de devenir Premier ministre en 2024, avant d’être condamné à 20 ans de prison à la suite du massacre de Mandakao. A force de manœuvres de positionnement, l’opposition tchadienne entretient elle-même la méfiance des citoyens.

Cette évolution politique intervient par ailleurs dans un contexte international qui favorise les régimes peu portés à la démocratie. Les rivalités géostratégiques entre la Russie et les pays occidentaux offrent aux dirigeants du continent de nouvelles marges de manœuvre. La confédération de l’AES (Mali, Burkina Faso, Niger) incarne ce vent de souverainisme dont une des manifestations, c’est aussi le départ des soldats français de plusieurs pays, dont le Tchad. Dans ce nouveau rapport de force, Mahamat Idriss Déby sait qu’il dispose d’une plus grande liberté pour remodeler les institutions à sa guise, sans craindre de réelles représailles extérieures.

Ainsi, loin d’incarner un renouveau politique, Mahamat Idriss Déby semble perpétuer un cycle qui confisque l’alternance et bloque l’émergence d’une gouvernance réellement démocratique. Une dynamique qui semble relever d’une tendance plutôt lourde sur le continent africain.

Boubacar Sanso Barry

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