Non, la présidentielle ne se tiendra ni le 15 décembre, ni le 2 juin. Macky Sall a beau essayé, en usant de tous les subterfuges, de toutes les manœuvres. Mais il devra bien faire tenir le scrutin, avant la date de son départ du palais, le 2 avril prochain. Il s’y résout donc, bien malgré lui. Voilà qui confirme le statut de phare qu’on associe souvent à la singularité de la démocratie sénégalaise. Avec Macky Sall, le pays a bien été secoué, on a même frôlé le pire, puisqu’on est allé jusqu’à redouter que les coups de butoir du président sénégalais ne donnent des idées aux militaires. Mais le Sénégal, tenu par un peuple uni et déterminé, par une opposition qui s’est refusée à la compromission, par des institutions pleinement conscientes de leur responsabilité et résolues à l’assumer et par une élite intellectuelle capable de faire valoir les intérêts supérieurs de la Nation quand cela est nécessaire, est parti pour se relever des bégaiements et des doutes qu’il a inspirés ces derniers mois. Dos au mur, parce que désavoué par ses compatriotes et par le Conseil constitutionnel, le président sénégalais dont le simulacre de dialogue n’aura finalement servi à rien, consent donc à organiser le premier tour de la présidentielle le 24 mars prochain. Avec le risque plutôt évident que son dauphin, Amadou Bâ, ne l’emporte pas, parce que la perspective d’une réintégration de la candidature de Karim Wade, elle aussi, n’a guère prospéré.
Ni troisième mandat, ni glissement
Quelle formidable leçon que celle que nous donne le Sénégal ! Nos destins et ceux de nos pays ne dépendent ni de Paris, ni de Moscou, encore moins de Washington. En tout cas, l’issue en perspective à la crise sénégalaise aura été essentiellement interne. Si Macky Sall n’a réussi à s’offrir ni le troisième mandat, ni le glissement, c’est parce qu’il s’est retrouvé en face d’un bloc solide de Sénégalais qui ont refusé de céder la tentation de la manipulation divisionniste. Pourtant, il était si déterminé qu’il a usé de tout : répression policière et judiciaire, offre de dialogue, amnistie et sans doute tentative de débauchage via des espèces sonnantes et trébuchantes. Mais aucune manœuvre n’aura fonctionné.
L’usure…
Le premier mérite de ce qui se dessine donc comme une victoire sur les velléités du président Macky Sall, revient aux Sénégalais. En effet, que de sacrifices consentis en particulier par les plus anonymes d’entre eux ? Mus par le désir de préserver l’image singulière qui se rattache à leur pays et résolus à imposer à Macky Sall qu’il les respecte, ils ont tout enduré. Ils ont perdu les leurs, inhalé du gaz, séjourné en prison et ont été blessés et rendus handicapés à vie pour certains d’entre eux. Mais jamais, ils n’ont lâché. Au contraire, plus ça devenait chaud, plus tenaient bon. Parce qu’ils savaient qu’en face, le pouvoir sénégalais misait justement sur l’usure et l’essoufflement. Eh bien, l’usure, c’est celui qui se croyait fort et suffisamment malin qui s’en retrouve victime au bout du compte.
Désaveu cinglant et flagrant
De cet épisode, on retiendra également le rôle historique joué par les institutions sénégalaises, incarnées par le Conseil constitutionnel. Aux échelons inférieurs, certains magistrats ont peut-être manqué à leur devoir. Ce qui a laissé croire à Macky Sall qu’il maîtrisait les choses. Mais les sages de la haute juridiction, eux, ne se sont pas laissé faire. Assumant leur responsabilité, ils ont barré la route au chef d’Etat sénégalais, sans lui laisser aucune chance. L’illustration de l’intransigeance dont ils ont fait preuve étant l’exigence explicite faite à Macky Sall d’organiser les élections avant le 2 avril et leur refus d’admettre la réouverture des candidatures, en vue de permettre à Karim Wade de revenir dans la course. Devant un désaveu aussi cinglant que flagrant, le président n’avait plus le choix. Il n’avait plus qu’à s’exécuter.
D’autant que ce dernier camouflet venait à la suite du refus de 17 des 19 candidats à la présidentielle de s’associer au dialogue qu’il avait organisé. Et que l’élite intellectuelle du pays s’était explicitement et publiquement opposée aux manœuvres du président et avait mis en garde contre les risques qu’il faisait peser à la stabilité du Sénégal. Comme en juillet 2023, quand il annonçait qu’il ne briguerait pas le troisième mandat, Macky Sall ne consent pas à organiser le premier tour le 24 mars, parce que tel était son souhait. Il y est contraint et forcé. Ce qui en soi écorne sa sortie.
Une leçon pour le successeur
Mais si le président perd, le Sénégal, lui, engrange des points. Du précipice dans lequel il a failli se retrouver, il émerge plus grand. Parce que des péripéties de ces longs mois de tiraillement, on peut tirer une conclusion : les Sénégalais imposent leur respect à leurs dirigeants. Et c’est sans doute une leçon que le successeur de Macky Sall, qui qu’il soit, aurait intérêt à retenir.
Boubacar Sanso Barry