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Cette lettre ouverte jadis adressée au CNDD

Elle date de mars 2009 et était adressée au Comité national pour la démocratie et le développement (CNDD) du capitaine Moussa Dadis Camara. Mais comme on le verra en la lisant, la lettre ouverte que nous reprenons ci-dessous, demeure appropriée pour le contexte qui prévaut aujourd’hui, plus de douze ans après. Là-dedans, l’auteur mettait en garde la junte contre les risques pouvant découler des mouvements de soutien qui commençaient à se manifester dans son entourage. Avec le recul et en se remémorant ce qui avait émaillé cette transition-là, la mise en garde parait même plus pertinente aujourd’hui. Il suffirait juste de remplacer CNDD par CNRD.  

Haro sur les mouvements de soutien au CNDD

Que les habitudes surtout les mauvaises ont la vie dure en Guinée. Aujourd’hui, à peine un trimestre après la prise du pouvoir par le Comité National pour la Démocratie et le Développement (CNDD), on voit émerger des mouvements de soutien à cet organe pour magnifier ses actions avec en toile de fond, un message limpide, « que le CNDD continue du service ». Cette situation ne peut qu’interpeller. Ce qui se passe aujourd’hui avec le foisonnement de mouvements de soutien ressemble fort bien à du déjà vu. Il s’agit là d’un virage important dans la gestion de cette transition politique en Guinée. L’avènement du CNDD le 23 décembre 2008 dernier a été fêté dans l’ensemble et a auguré de nouveaux horizons après une période rude pour l’exercice des libertés individuelles collectives en Guinée. Au-delà de l’euphorie, on ne peut également ignorer la méfiance de certains citoyens vis-à-vis du retour des militaires au pouvoir. Il est évident qu’au-delà de la bonne foi des militaires de vouloir restituer le pouvoir aux civils, des citoyens restent encore sceptiques. Ils sont nombreux les exemples qui jalonnent l’histoire politique en Afrique où le militaire qui a gouté à la saveur n’est finalement jamais parti du pouvoir comme convenu. Comme pour dire que quand on y goûte, il est souvent très difficile de remettre le pouvoir à un autre.

Ce sentiment de scepticisme est compréhensible et surtout, il ne doit être ni ignoré, ni sous-estimé par cet organe de gestion de la transition politique. Toujours est-il que cette nouvelle donne politique a été rapidement prise en compte par l’ensemble des acteurs sociopolitiques guinéens, avec cependant l’espoir que cet organe conduise une transition devant déboucher sur des élections libres et transparentes. Réussir cet objectif, n’est évidemment chose simple. Mais cela est nécessaire pour ouvrir de nouvelles perspectives pour la Guinée. Cet objectif risque d’être compliqué à atteindre avec l’apparition de tous les mouvements de soutien au CNDD et ce, pour quatre raisons :

La première, le CNDD a déjà obtenu l’onction populaire le jour de sa prise du pouvoir avec un accueil des plus chaleureux de la junte par les populations notamment de Conakry. Il a été aussi d’une certaine façon reconnue par la classe politique y compris par les membres de l’ancien gouvernement. A cela, on pourrait rajouter un regard plutôt bienveillant de la société civile et surtout le ralliement de l’armée. Disons, on ne pouvait espérer mieux aux lendemains du 22 octobre 2008, jour de décès du Président Lansana Conté. Aujourd’hui, dans l’ensemble, la situation est sous-contrôle de la junte.

Deuxième, le CNDD a certes une fonction politique de gestion de la transition, mais il doit se tenir à l’écart des joutes politiques, éviter une certaine ivresse du pouvoir pour pouvoir se focaliser sur l’objectif premier, à savoir créer les conditions pour le retour à un ordre constitutionnel. De ce fait, le CNDD devrait être neutre et laisser la compétition politique aux partis. Dans les faits, le gouvernement de Kabiné Komara sous la direction du chef de la junte, le capitaine Moussa Dadis Camara a un programme d’urgence à mener pour assurer la continuité de l’Etat et des services publics et travailler au rétablissement tant souhaité de l’ordre constitutionnel. Aujourd’hui, le CNDD n’est en compétition sur le champ politique ni avec un parti politique, ni avec une coalition de partis politiques. Donc, il n’est nullement encore nécessaire que des groupes d’individus le soutiennent.

Troisième, le champ politique s’ouvre et s’élargit même. Tout citoyen devrait se retrouver dans un des partis politiques qui existent et qui se créent parfois à longueur de journée. Il appartient donc à chacun d’aller vers le parti de son choix. Le spectre s’élargissant, chacun devrait s’y retrouver et ainsi contribuer à l’exercice démocratique. Les partis politiques demeurent les instruments de conquête du pouvoir en démocratie, ils sont indispensables à l’enracinement démocratique et à l’éducation citoyenne. Pourvu que priment les débats et que les choix se fassent sur des projets de société. Heureusement d’ailleurs que la suspension des activités politiques et syndicales consécutive à la prise du pouvoir a été levée

Quatrième, en réalité, tous ces groupes de soutien qui foisonnent aujourd’hui sur l’espace public guinéen ne sont que des lobbies au service d’individus cherchant à créer ou à maintenir des situations de rente. Ces groupes ont pour rôle de faire le clientélisme, pour se positionner, se rendre indispensable vis-à-vis du pouvoir politique pour espérer demain, en récolter les privilèges.

Convenons qu’en démocratie, il n’y a pas que les partis politiques qui servent de cadres de son enracinement. Diverses structures y contribuent également, comme les syndicats, les Ong, les fédérations patronales et autres. Mais celles qui pullulent aujourd’hui avec comme unique programme le soutien du CNDD n’en font vraiment pas partie. Au contraire, agissant dans une logique que l’on qualifierait d’opportuniste, elles brouillent et minent le champ politique. Une simple analyse rétrospective de l’histoire politique de la Guinée permet de se rendre compte de leur influence néfaste. Cette façon de faire, c’est vraiment du classique dans l’action des lobbies dans le fonctionnement des Etats et des régimes démocratiques. Il s’agit en fait de procédés simples pour influencer les décisions politiques et contribuer par leurs actions à faire passer leurs préférences individuelles/catégorielles pour celles collectives. Aujourd’hui, clairement ces mouvements de soutien sont nuisibles non seulement à la junte mais aussi à une marche normale de la transition. La Guinée est encore dans un régime d’exception.

Le CNDD dans ses fonctions et missions actuelles va vraiment au-delà de cette dimension partisane.  Une ligne qu’il devrait conserver sur toute la période de la transition. Diverses initiatives sont déjà prises pour faire de cette transition une réussite. Elles ne peuvent être que saluées. Aujourd’hui, nombre de citoyens croient encore en la volonté et aux objectifs affichés par cet organe, même si les modalités se discutent toujours avec l’ensemble des forces vives. Tenir ses engagements doit rester l’objectif primordial pour le CNDD afin de permettre à ce pays, après un demi-siècle d’indépendance d’aller vers de nouvelles perspectives. Ainsi, les Guinéens auront passé un cap historique et prouvé au monde leur maturité et cette volonté commune de vivre en fin ensemble, pourrait-on dire. Comme on le dit souvent, il n’est jamais trop tard pour bien faire. Il est encore temps pour le CNDD de rectifier le tir.

Plus globalement, l’histoire politique de l’Afrique ces dernières décennies montre une fois de plus comment des groupes de citoyens dans une logique purement individualiste et opportuniste ont influencé des dirigeants de pays. Ces derniers dans plusieurs cas ont accepté de renier leurs promesses allant jusqu’à faire modifier le texte fondamental, ouvrant ainsi la voie à un pouvoir à vie alors que le principe exigeait le contraire. Les résultats de telles démarches sont sans commentaires. Et la Guinée malheureusement ne fut un bon exemple avec le changement constitutionnel de 2001[1]. Aujourd’hui, ils sont nombreux les Guinéens et des observateurs de la scène politique nationale à se poser la même question à savoir : le CNDD respectera-t-il ses engagements vis-à-vis du peuple de Guinée ? Ce n’est certes pas que tous doutent de la bonne foi de ce premier organe de gestion de la transition, mais les exemples sont légion où le contraire s’est produit en Afrique. Les faits sont têtus. Il appartient désormais au CNDD de prouver le contraire en faisant preuve de plus de lucidité et de responsabilité. L’occasion est en tout cas là et elle est historique. Au CNDD d’être finalement à la hauteur de l’enjeu.

[1] Ce changement constitutionnel au-delà des arguments factuels développés du type instabilité de la sous région ouest-africaine avec les cries politiques en Cote d’Ivoire, au Libéria ou encore en Sierra Léone a été une faute morale et politique. Il a rompu un pacte, renié un engagement et saper durablement la marche vers la démocratie qui ne peut être imaginée sans possibilités d’alternances. Il est évident que ce changement constitutionnel n’a pas fait progresser la démocratie, ni le bien être des Guinéens. Bien au contraire. Il a été source d’instabilité institutionnel et politique et d’appauvrissement de la Guinée.

Conakry, le 19 mars 2009

Boubacar Sidighi Diallo, économiste et consultant

 Expert en Décentralisation, Développement local et Coopération

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