La Guinée a marqué de son empreinte la scène internationale de l’orthographe. Deux élèves guinéens se sont illustrés lors du prestigieux concours de la dictée P.G.L., organisé chaque année au Canada. Réservée aux élèves du primaire, cette compétition francophone de renom a rassemblé des candidats venus de plusieurs pays.
Mohamed Traoré, élève du Groupe scolaire Les Écureuils, a décroché la 1ʳᵉ place dans la catégorie Français langue seconde. Sa performance a été saluée comme un véritable exploit. Dans la même catégorie, Fatoumata Barry, du Groupe scolaire La Lumière, a remporté la 3ᵉ place, confirmant la qualité de l’enseignement dans les écoles guinéennes participantes.
Interrogé ce mardi 20 mai 2025 par notre rédaction, Bella Bah, membre de l’Association Guinéenne des Écoles Privées, structure organisatrice de la dictée P.G.L. en Guinée en collaboration avec la Fondation Paul Gérin-Lajoie est revenu sur le parcours inspirant des lauréats et a exprimé sa grande fierté.
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Ledjely.com : Quel a été votre rôle dans l’organisation de ce concours ?
Bella Bah : Depuis trois ans, nous travaillons à relancer ce projet en Guinée. Le concours existait auparavant, mais il s’était interrompu avec l’arrivée d’Ebola. En voyant la participation d’autres pays comme le Maroc, le Sénégal ou la Côte d’Ivoire, nous nous sommes demandé : Pourquoi pas la Guinée ? Après plusieurs démarches, nous avons pu renouer le contact avec la Fondation, qui a salué notre engagement. Il faut noter que la Fondation ne finance pas l’organisation : tout repose sur le bénévolat et la passion pour la langue française.
L’année dernière, nous avons participé, mais sans remporter de prix. Cela nous a permis de nous remettre en question, de retravailler, d’améliorer le processus, d’être plus exigeants sur la correction. Car eux-mêmes considèrent qu’un accent oublié, une virgule manquante ou un point mal placé sur un « i », c’est une faute.
Notre système n’est pas habitué à une telle rigueur, mais nous avons tiré les leçons. Le président de la Fondation, très touché, est même venu en Guinée en décembre pour nous encourager, visiter les écoles et mobiliser des sponsors. Il a été d’un grand soutien. Cette année, nous avons mis la barre très haut.
Quels ont été les défis au lancement ?
Grâce au soutien du ministère de l’Éducation, nous avons pu organiser la dictée sur toute l’étendue du territoire, mobilisant plus de 140 000 élèves de CM1 et CM2. C’est une performance exceptionnelle. L’appui du groupe Palm Camayenne, qui a hébergé l’événement, et d’Orange Guinée, qui a financé les billets d’avion des enfants, a également été déterminant.
Nous remercions vivement l’appui institutionnel du ministère de l’Enseignement, qui a adressé une lettre à toutes les DCE pour les impliquer. Cette année, nous avons couvert l’ensemble du territoire national. L’année précédente, la participation était limitée au Grand Conakry : les cinq communes, plus Dubréka, Coyah et Kindia.
Le ministre de l’Éducation s’est déplacé personnellement cette année pour la finale. Il a même participé à la dictée avec les enfants. Nous avons été extrêmement rigoureux et sélectifs. Nous aurions pu privilégier nos propres écoles, mais nous avons été très stricts, car nous voulions remporter ce prix pour la Guinée. L’école Les Écureuils a obtenu la première place, suivie de La Lumière de Guinée.
Nous avons entamé le processus de demande de visa avec une rigueur absolue. Je me suis personnellement rendu dans les écoles concernées. Nous avons travaillé main dans la main. Au total, les élèves ont effectué plus d’une centaine de dictées. Chaque jour, ils s’entraînaient avec leurs encadrants.
Combien d’élèves guinéens ont participé, et dans quelles catégories ? Comment ont-ils réagi à leur victoire ? Et leurs familles ?
Ils ont participé avec beaucoup de confiance et de sérénité. Ils étaient deux. Traoré, par exemple, m’a dit avant même les résultats : « Ne vous inquiétez pas, on va ramener un prix. » C’était très touchant. Nous avons beaucoup travaillé pour les mettre en confiance, ainsi que leurs familles. C’était essentiel.
Fatoumata Barry aussi était très confiante, très à l’aise, épanouie. Ce sont des élèves très sûrs d’eux. Il faut dire qu’ils ont bénéficié d’un réel accompagnement, d’un coaching personnalisé. Nous avons longuement échangé avec eux et leurs parents pour leur donner toute l’assurance possible. Je pense que cela a grandement contribué à leur réussite.
Dès que Fatoumata a été annoncée à la 3ᵉ place, j’ai dit au président : « Je crois qu’on va gagner la 1ʳᵉ place. » Et c’est ce qui s’est produit. Ce fut un moment de joie intense, d’émotion forte.
Vous avez rencontré les familles ?
Pour l’instant, nous avons surtout échangé par téléphone. Nous prévoyons de les rencontrer très bientôt, peut-être dès demain, pour préparer l’arrivée des enfants. Ils rentrent jeudi à 20 h, à l’aéroport. Inch’Allah, nous travaillons avec le ministère de l’Enseignement pour organiser l’accueil, suivi d’une conférence de presse. Les autorités sont vraiment disposées à nous accompagner. Il faut les remercier. Elles ne cherchent pas à récupérer le projet, mais à travailler avec l’association. Et nous sommes très ouverts à cette collaboration. Car pour nous, c’est la Guinée qui gagne. Quand la Guinée gagne, tout le monde se retrouve.
Quel a été votre plus beau moment dans cette aventure ?
Sans hésiter, l’annonce des résultats. Le suspense était énorme. Dès que Fatoumata a été annoncée 3ᵉ, j’ai su que Traoré allait probablement être 1ᵉʳ. Ce fut un moment indescriptible de joie et de fierté.
Pour être honnête, la phase d’attente après la dictée a été très stressante. On était collés à l’écran. J’avais partagé le lien des résultats avec les sponsors, notamment Orange Guinée, qui a payé les billets d’avion. J’ai même prévenu leur directeur de compte.
Nous sommes surtout fiers de la mobilisation nationale. Tous les ministres ont publié des messages, le Premier ministre aussi. Nous espérons que les enfants seront reçus par le président de la transition, qu’il leur témoigne sa bienveillance et leur offre la possibilité d’étudier à l’étranger — pourquoi pas en France, ou dans un grand pays.
Nous ne sommes pas contre Miss Guinée, mais si on donne plus de 50 000 dollars à la Miss, il faut aussi récompenser ceux qui remportent un prix international. Ce serait un signal fort, un encouragement pour que d’autres enfants rêvent eux aussi.
Pensez-vous que ce projet puisse impulser un changement dans le système éducatif guinéen ?
Oui, et c’est notre ambition. Pour améliorer notre système, il faut commencer par la base : la petite enfance. En Guinée, malheureusement, on commence souvent l’école trop tard. Or, les experts s’accordent à dire que l’éducation de qualité se joue entre 3 et 11 ans.
Aujourd’hui, on commence souvent l’école à 7 ou 8 ans. Il faut changer ce paradigme, favoriser l’éducation dès le plus jeune âge pour que l’enfant développe des réflexes de lecture, d’écriture et de calcul. C’est ce qui impulsera une nouvelle dynamique.
Avec ce projet, nous pensons sincèrement qu’il poussera tout le monde à se remettre en question : la capacité des élèves à lire, écrire, éviter les fautes, remettra aussi en cause les enseignants et les inspecteurs. Et je crois que c’est une bonne chose.
Quels sont vos projets à venir ?
Nous poursuivons notre collaboration avec la Fondation P.G.L. Ils mènent déjà de beaux projets au Mali et au Sénégal. Nous voulons faire venir des experts, notamment du Canada, pour partager leur expertise, notamment en éducation préscolaire.
Nous souhaitons également mettre en place un système de parrainage pour les enfants issus de milieux défavorisés. Lors de notre rencontre avec le ministre de l’Énergie, M. Aboubacar Camara, nous avons discuté de cette idée. Nous allons essayer d’associer des directeurs, des ministres, à ce parrainage pour pousser tout le monde vers l’excellence.
Par ailleurs, nous voulons diversifier les destinations des boursiers. Moi-même, j’ai été boursier en 2008. Le Maroc, c’est bien, mais aujourd’hui, il faut élargir les horizons : la Chine, l’Inde, l’Europe, pour permettre aux jeunes d’accéder à des filières comme l’intelligence artificielle, la robotique, l’agriculture moderne, etc.
Et surtout, l’État doit veiller à ce que les boursiers puissent revenir et s’intégrer facilement dans le système une fois leurs études terminées. Ce sont des chantiers que nous voulons développer avec le ministère de l’Enseignement pour transformer positivement l’éducation en Guinée.
Quel message adressez-vous aux jeunes qui rêvent de représenter la Guinée ?
Croyez en vos rêves. Soyez disciplinés, passionnés, travailleurs. L’argent ne doit pas être un frein. Si nous avions attendu d’avoir les moyens, nous n’aurions rien fait. Nous rêvons de voir un élève guinéen intégrer Polytechnique Paris un jour. C’est possible, si on y croit.
Et je le répète : l’Association Guinéenne des Écoles Privées est ouverte aux bénévoles, aux personnes de bonne volonté, aux sponsors. Ce qui nous importe, c’est l’éducation, pas l’argent. Nous avons prouvé que c’est possible.
Un dernier mot ?
La Dictée P.G.L. est un projet transparent, basé sur le mérite. Nous sommes ouverts à toutes les bonnes volontés. Le plus dur commence maintenant : maintenir ce niveau. L’objectif, c’est de gagner encore l’année prochaine. Il faut garder les pieds sur terre, continuer à travailler avec rigueur, être exigeants dans la sélection des candidats et bien les préparer pour que la Guinée continue de briller à l’international.
Interview réalisée par N’Famoussa Siby